Source Gallica de la Bnf : Le Monde artiste du samedi 18 octobre 1913
--- Le monde théâtral est dans un légitime émoi. Il s'agit, par suite d'événements divers et qui ne dépendent pas tous les uns des autres, de pourvoir simultanément à la direction de trois théâtres d'Etat sur quatre.
--- La retraite de M. Jules Claretie, administrateur de la Comédie-Française, entraîne la nécessité de lui choisir un successeur. Depuis un mois, beaucoup de noms ont été mis en avant. Aujourd'hui, le choix du ministre des Beaux-Arts s'est arrêté sur celui de M. Albert Carré, directeur de l'Opéra-Comique. Pour succéder à M. Albert Carré, M. Louis Barthou a désigné MM. Emile et Vincent Isola, directeurs actuels de la Gaîté-Lyrique, auxquels il adjoint M. Gheusi, ancien co-directeur de l'Opéra, avec M. Gailhard.
--- Les nouveaux directeurs de l'Opéra-Comique ont choisi M. Paul Vidal, premier chef d'orchestre de l'Opéra, comme directeur de la musique.
--- Nous ne pouvons laisser partir M. Jules Claretie sans lui témoigner les sentiments que nous inspire sa retraite. Depuis vingt-huit ans, l'éminent administrateur du Théâtre-Français a donné les preuves d'une activité qui ne s'est jamais démentie, il a témoigné d'un souci constant de mener par ses ordinaires sentiers glorieux, la grande Maison au noble but qu'elle poursuit sans cesse. Son administration s'est manifestée au milieu de luttes constantes que son aménité, sa bonté unanimement reconnue, ses qualités supérieures de diplomate avisé ont toujours réussi à aplanir. En quittant la Comédie, M. Jules Claretie n'y laissera certainement que des regrets, et le public lui a déjà témoigné par la plus flatteuse et la plus spontanée des ovations le soir de la réouverture en quelle estime affectueuse il tenait le bel artiste et le sage directeur qu'il contraignait, en dépit de sa modestie, à comparaître devant lui au milieu des membres de l'illustre compagnie.
--- M. Albert Carré qui va quitter l'Opéra-Comique après plus de quinze ans de direction glorieuse a, lui aussi, depuis longtemps, conquis la faveur du public. Non seulement il est assuré de la sympathie des musiciens qui ont rencontré sous sa direction le réconfort le plus agissant et l'aide la plus efficace, mais il a gagné à sa cause l'opinion tout entière, ce qui est d'un poids considérable à une époque comme la nôtre. Ses qualités artistiques et administratives auront l'occasion de s'exercer dans le poste éminent qu'il va occuper désormais, et comme on l'a dit, c'est là pour lui le plein épanouissement et le digne couronnement d'une brillante carrière.
--- Les frères Isola sont, eux aussi, des sympathiques au sens absolu du mot. Administrateurs avisés, ayant en même temps que le sens des choses d'art dont ils ont à la Gaîté-Lyrique donné de si nombreuses preuves, ils possèdent au plus haut degré le flair des affaires. Leur chance qu'on s'est plu à vanter, peut-être avec quelque exagération, est, en somme, le résultat d'un travail des plus louables et d'une application continue.
--- Que les deux frères aient été servis par un destin favorable, rien n'est plus évident, mais si le ciel les a aidés, il faut reconnaître que par leur courage inlassable et la sagesse de leurs décisions, ils ont commencé par s'aider eux-mêmes. Nous saluons avec joie leur entrée à l'Opéra-Comique où ils sauront, s'inspirer des traditions excellentes de leur prédécesseur.
--- Le fin lettré et l'habile administrateur qu'est M.Gheusi, a déjà donné sa mesure lorsque l'amitié et la confiance de M. Gailhard l'ont désigné jadis au choix du ministre pour devenir son collaborateur le plus intime à l'Opéra. Le choix fait par M. Louis Barthou sera bien accueilli par tout le monde et ajoutera encore à la légende de l'heureuse étoile des frères Isola.
--- Quant à la direction de l'Opéra, les bruits les plus divers circulent. Nous sommes en bonne posture pour déclarer qu'aujourd'hui vendredi 17 octobre, ils ne reposent uniquement que sur des hypothèses, et que rien, absolument rien, n'est encore décidé.