LES TRIOMPHATEURS ---- Il était une fois dans une petite ville algérienne un brave homme, tailleur d’habits qui, du produit de son travail, élevait une nombreuse famille. |
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Un jour, il fut stupéfait d’apprendre
qu'à la suite de je ne sais quel futile incident ses deux garçons,
deux petits gaillards à mine éveillée, avaient planté
là l’atelier de menuiserie où ils étaient en
apprentissage et lui disant un adieu dénué de tristesse,
avaient, d’un pas allègre, pris la direction d'Alger.
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Il pensa que leur fugue serait de courte durée
et la colère dominant l'inquiétude, il se promit quand les
deux polissons réintégreraient le bercail, de leur offrir,
en guise de veau gras; une ample distribution de taloches. ---- Mais l'attente fut vaine les fugitifs ne rentrèrent pas. Quand, après une semaine; de mortelles, angoisses, le papa, dont la colère s’était |
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transformée en un chagrin
profond, fit faire une enquête par des parents qu'il avait
à Alger, il apprit que les deux galopins, poussés par l'esprit
d'aventure, s'étaient embarqués à destination de Marseille.
---- L'histoire que je vous raconte n'est pas d'hier, elle date de trente ans au moins. Sur ces trente ans, une décade s'était écoulée sans que le tailleur blidéen — c'est à Blida, que se passe cette histoire qui ressemble à un conte de fées — eut la moindre nouvelle des deux fugitifs ; bientôt on ne parla plus d'eux et, sans les oublier tout à fait, le père y pensa de moins en moins. |
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![]() Place d'Armes à Blida |
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Un jour, une étrange rumeur se répandit
dans la ville des roses. Les deux frères étaient revenus,
non pas dépenaillés lorsque, sans un maravédis en
poche, ils avaient pris la clef des champs, mais éblouissants tels,
le magicien des légendes. ---- Ceux qui les voyaient ne revenaient pas du changement qui s’était opéré en eux. Ils étaient beaux, ils étaient riches, ils avaient des façons aristocratiques |
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et les boutons
du devant de leur chemise aussi bien que le chaton de leurs bagues accrochaient,
pour les rendre en les multipliant, tous les rayons du soleil. --- Et de quelle science surprenante ils étaient les adeptes ! Ils invitèrent les gens à les venir voir et l’on constata qu'ils savaient l'art de lire les pensées secrètes sous un front qui se collait d'impassibilité ; qu'ils faisaient sortirent d’un chapeau dont ils venaient de vous montrer le vide, une nichée de colombes succédant à une portée de jeunes renards et précédent une omelette d'un fumet appétissant. |
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De leurs poches, préalablement retournées,
jaillissaient pêle-mêle des sequins, des ducats, des banknotes,
des colliers de perles à faire trébucher la probité
d'un caissier de la banque, à donner des éblouissements
à un nabab. --- Avec l'ombre portée de leurs doigts ingénieusement disposés, ils |
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projetaient sur la blancheur d’un écran,
les plus folles, les plus amusantes, les plus fantastiques silhouettes.
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