article extrait du journal "Ciné Mondial" du vendredi 8 janvier 1943
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Il était une fois un jeune italien de seize ans, qui naviguait à bord d'une goélette allant de Gênes en Afrique et qui, pris par des pirates arabes, eut le poignet sectionné. Livré comme captif au sultan, il le ravit par son esprit et, séduit, celui-ci lui rendit sa liberté après lui avoir fait faire une main en or ...
         Il était une fois deux jeunes garçons, fils d'un modeste tailleur de Blida, sui, ayant quitté le toit paternel avec vingt louis en poche, firent en moins de vingt ans la conquête du Tout-Paris élégant du début de ce siècle.
       Il était une fois... Mais je pourrais continuer longemps à parler comme on le fait dans les comtes de fées, puisqu'il s'agit de l'histoire de deux magiciens. Car l'homme à la main d'or était le grand-père des fils du tailleur de Blida, et ceux n'étaient autres que les frères Isola;
          Les frères Isola, nom, prestigieux, synonyme d'illusion et de féérie à une époque où naissaient l'automobile, le phonographe et cinéma, où tout n'était qu'illusion et féérie, depuis ces inventions merveilleuses jusqu'à la vie chatoyante et facile qui, des feux de la rampe aux soupers fins de chez Maxim's, était alors celle de Paris.

            Cinquante ans d'illusion, c'est le titre provisoire du film que se proposent de réaliser prochainement MM. Christian Stengel et Pierre Andrieu, s'inspirant pour la plus large part de Souvenirs des Isola, recueillis par Pierre Andrieu et dans lequel revivront toutes ces silhouettes qu'ils aiment à évoquer, et qui portent des noms célèbres et déjà légendaires. Une vie passée à croire : telle est celle de ces deux frères unis tout au long d'une longue existence, pour les bons comme pour les mauvais jours, et qui doivent sans doute leur extraordinaire réussite à cette merveilleuse entente, à leur persévérance aussi. Ils ont cru en leur vocation quand, revenant d'une séance donnée à Blida par le célèbre Robert Houdin, ils déclarèrent à leur père effaré: "Nous serons illusionnistes et millionnaires !" Ils ont cru en elle quand, apprentis menuisiers de par la volonté absolue de ce dernier et travaillant vaille que vaille, chez un fabricant de cercueils, ils ne cessaient d'exercer leurs mains calleuses et pleines d'ampoules à ces "escamotages" qui, plus tard, devaient les rendre célèbres. Ils ont cru en leur métier quand, débarquant à Paris un beau jour, riches de leurs illusions, ils ont trouvé en eux-mêmes assez d'espoir et de foi pour persévérer malgré les échecs et les revers. Illusion, illusion toujours, souvent déçue mais sans cesse recréée comme se recréent encore aujourd'hui au bout de leurs doigts, les papiers coupés en menus morceaux, les chiffons déchirés, les rêves...
           Et puis un jour, l'illusion se fait réalité : Vincent et Émile Isola deviennent les propriétaires du théâtre de la Gaité, devant lequel un soir, quelques années auparavant, ils avaient, assis mélancoliquement sur un banc du square des Arts des Métiers, partagé la pomme qui leur restait du tour raté ce Guillaume Tell... Dès lors, dans une ascension vertigineuse, les deux frères vont se trouver mêlés à la vie littéraire, artistique et politique de Paris. Il n'est pas d'acteur, de musicien, de chanteur ou d'écrivain, d'homme célèbre par sa naissance, sa fortune, sa situation, qui n'ait côtoyé, fréquenté, donné son amitié à ces mécènes pour qui l'argent ne compte qu'en fonction de ce qu'il peut aider à réaliser au point de vue artistique.
       Autour d'eux, lorsqu'ils évoquent avec une souriante philosophie ces années d'opulence qui, au déclin de leur laborieuse existence, ne sont plus que des souvenirs, passent des visages : Paulus, Fragson, Baggessen, le casseur d'assiettes, Frégoli, le duc de Mornay et la belle Cléo de Mérode, louis Lumière quand il présentait son premier film, le marquis de Dion et ses automobiles, la Goulue, Boni de Castellane, Massenet, Chaliapine, Dranem, Lucien Guitry et aussi son fils, puisque c'est Sacha Guitry qui aida Émile et Vincent Isola à reprendre leur numéro de prestidigitation, abandonné depuis quarante ans, numéro dont le succès demeure toujours la plus belle récompense de plus d'un demi-siècle de travail.

         Tout cela, nous allons le revivre dans un film qui sera une vaste reconstitution d'une époque encore si proche de la nôtre, et qui pourtant nous apparaît déjà comme un temps lointain et merveilleux, attendrissant et ridicule ainsi qu'une vieille gravure de mode avec ce charme des choses qu'on regrette de ne pas avoir connues... De la petite boutique de Blida aux réceptions des Champs-Élysées, nous suivrons les Isola qui interpréteront eux-mêmes les dernières scènes du film lors de leur gala de l'A.B.C, en 1940.
                Tour à tour adaptateur, scénariste, producteur, metteur en scène, Christian Stengel, auquel nous devons tant de films de qualité tels que Crimes et Châtiments, l'Homme de nulle part, La Maison dans la Lune, Les Mutilés dé "L'Elseneur" et Pontcarral, colonel d'empire, travaille depuis dix-huit mois à la mise au point de ce film avec Pierre Andrieu, pour lequel l'histoire des Isola n'a plus de secrets. De cette collaboration étroite à laquelle a présidé un grand souci d'exactitude pour la reconstitution d'une époque aussi riche en détails pittoresques que la vie des frères Isola elle-même, sortira, nous n'en pouvons douter, une œuvre attachante, d'un style diffèrent de tout ce que le cinéma nous a donné depuis quelques années.
               Reste le choix des interprètes. Qui sera Vincent, qui sera Émile Isola ? Des noms sont prononcés : Pierre Blanchar, Fernand Gravey, Georges Rollin, Gilbert Gil ... Des noms seulement, car rien n'est encore décidé. Tant de visages doivent être évoqués, dont il faut fixer les traits avec d'autant plus de minutie que l'on triche difficilement avec ce qui, hier encore, était l'actualité...
Et puis, dit M.Stengel, qui ne se dissimule pas les difficultés d'une telle réalisation, il y a aussi la musique qui compte énormément dans un film comme celui-ci.

Remarques1. Cette photo, selon mon interprétation nous montre deux des fils d'Antoine et je pense à la communion d'Emile né en 1860 accomagné de son plus jeune frère Giroux Salvador né en 1866 et tué lors de la misson  Flatters en 1896.

                   2.  Une erreur s'est glissée, ce n'est pas Vincent Isola et François Isola mais, Vincent Isola et Emile Isola.

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