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- Mais non, rien d'officiel encore, nous dit tout d'abord
M. Gheusi, sauf que depuis huit ans je suis successeur
éventuel, depuis ce matin successeur désigné par
le ministre. Mais ma nomination n'est pas encore chose faite…
Juste à ce moment la sonnerie du téléphone retentit
: j'assiste à une conversation hachée de silences, entre
le président du Conseil et le directeur de l'Opéra-Comique.
Le récepteur raccroché, M. Gheusi se tourne vers moi : «
Si, cette nomination est chose faite. M. Barthou m'en avise à l'instant:
dans deux ou trois jours elle sera signée. Je puis donc me laisser
maintenant interviewer, et vous dire ce que je compte faire à l'Opéra-Comique,
avec les frères Isola.
"Tout d'abord je veux vous exprimer combien
étroite sera notre collaboration. Je suis très heureux
d'être aux côtés d'hommes
aussi droits, aussi loyaux,
aussi honnêtes…Et à ce
propos dites bien qu'il n'y aura pas dans nos attributions, comme on a
tenté de le faire croire, de cloisons étanches, les uns
s'occupant exclusivement de l'administration sans toucher aux questions
artistiques et vice versa. Nous travaillerons tout
trois entièrement en commun,
parfaitement d'accord. Et si nous devons
nous répartir parfois le travail ce sera
d'une entente commune.
" Ce que je vais
aussi vous dire c'est mon admiration pour mon prédécesseur,
et mon vieil ami, Albert Carré, qui a fait de
l'Opéra-Comique ce qu'il est aujourd'hui.
" Je tâcherai
à ne pas lui être inférieur, je poursuivrai son œuvre,
et la voie qu'il a tracée. D'ailleurs je suis depuis longtemps
de la maison.. J'y ai travaillé à l'avant-scène,
depuis de longues années, comme j'y travaillerai encore, plus que
jamais, car je pense profondément faire œuvre artistique.
Oui, je suis de la maison…
Songez que j'ai eu plus de quinze actes joués salle Favart et que
la dernière œuvre qu'est en train de mettre en scène
Albert Carré est le Céleste, fait en collaboration par Gustave
Guiches et moi.
" J'ai même
fait représenter à l'Opéra-Comique certaine Guernica,
en trois actes, dont la musique était justement du "directeur
de la musique" que nous avons demandé au ministre de nous
adjoindre, mon vieil ami et collaborateur Paul Vidal.
Vous voyez que nous serons tous étroitement et indissolublement
unis et que cette multiple direction ne sera pas moins ferme et moins
"une"qu'une direction unique.
Mais vous me verrez à l'œuvre, vous verrez que toutes mes
forces, que toutes nos forces seront mises au service de l'art, comme
l'ont toujours été celles de M. Albert Carré, et
que nous serons animés de la même volonté de faire
de belles choses…
" Mon plus profond désir
serait qu'on ne s'aperçût-pas, que personne ne s'aperçoive
de la transition, pas même à l'Opéra-Comique, que
l'Opéra-Comique a changé de directeur; et que tout restât
si exactement identique dans la gestion de cette glorieuse scène
que l'on croie à un pur changement de noms…
Ajoutons que, suivant le désir exprimé par M. Barthou, les
contrats et engagements d''artistes resteront en vigueur jusqu'à
la fin de la saison.
Je me suis permis
de coloriser les bonnes résolutions qui n'ont pas été
tenues, lorsqu l'on connaît la suite des évènements.
"Tout nouveau, tout beau" et "la nouveauté
s'estompe avec la concurrence". CL
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Pendant la représentation de Lakmé.
Les frères Isola nous font le plaisir et l'amitié
de nous recevoir dans le bureau directorial qu'ils occupent depuis 1903
à la Gaîté-Lyrique. Leur nomination,
comme co-directeurs de l'Opéra-Comique avec M. P.-B.
Gheusi vient couronner une magnifique carrière
de lutte, de travaux successifs et les récompenser des efforts
qu'ils ont donnés depuis dix ans, pour servir la cause de la
musique française.
Et ce n'est pas sans une
certaine mélancolie que les frères Isola se rappellent
la petite salle du boulevard des Capucines, où, les
premiers soirs, le bordereau des recettes égalait celui des dépenses,
c'est-à-dire 42 Fr50.
Après
avoir fait le tour des salons de la haute société parisienne
comme prestidigitateurs, les futurs directeurs de l'Opéra-Comique
passèrent un jour devant Parisiana.
" La fortune sourit aux audacieux
», dit un vieux proverbe.
Allons-y, l'établissement
est à prendre, nous en devenons directeurs!
Et c'est alors pour les frères
Isola une nouvelle carrière qui s'ouvre dans le café-concert
et le music-hall, à l'Olympia, aux Folies-Bergère,
s'efforçant de donner à leurs spectacles un caractère
très artistique.
Ils font la connaissance de Jean Richepin, qui leur apporte
L'Impératrice, la musique est de Paul Vidal,
le compositeur, qu'ils vont aujourd'hui retrouver comme leur fidèle
collaborateur à l'Opéra-Comique. Ils créent
à Paris la revue dite à grand spectacle, composent des
programmes très éclectiques, engagent Frégoli
et Anna Judie, qui signe avec eux son dernier engagement
comme chanteuse.
Depuis longtemps, les
frères Isola faisaient un rêve. A tout prix, ils voulaient
le réaliser. Pourquoi ? Parce que mille difficultés se
présentaient et qu'ils voulaient toutes les surmonter. Ils rêvaient
de fonder le lyrique populaire, et, avec l'aide du conseil municipal
et de M. Albert Carré, dont ils sont aujourd'hui
les successeurs, ils fondèrent à la Gaîté
le premier théâtre lyrique populaire.
Cette direction exige tout leur temps et tous leurs soins. Ils' s'y
consacrent, avec ardeur. Soixante-dix ouvrages ont été
créés en sept ans, parmi lesquels: Hérodiade,
L'Attaque du Moulin, La Flûte enchantée,
Orphée, La Navarraise, Hernani, Salomé,
Quo Vadis, Don Quichotte, Carmosine et
Panurge.
Voilà ce qu'ont fait les
nouveaux directeurs de l'Opéra-Comiqiue. Ils laissent
à la Gaîté une belle œuvre, qu'ils sont heureux
d'avoir créée et qu'ils s'efforceront de soutenir en prêtant
à leur successeur quelques œuvres du répertoire,
des artistes et des décors.
Avec leur
ami et associé P.-B. Gheusi, les frères
Isola vont s'efforcer à l'Opéra-Comique de servir la cause
des musiciens français. Fervents admirateurs de M. Albert Carré,
ils continueront fidèlement la belle oeuvre qu'il a créée
et conserveront à l'Opéra-Comique le premier rang qu'il
occupe parmi les grands théâtres lyriques.
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