Le progrès de la Cote d’Or 17 mars 1938                                                    Source Gallica

 

             "Une interview ? " m'avait dit l'administrateur du théâtre, mais que voulez-vous que vous disent les frères Isola ?... Tout le monde connaît leur vie. Chacun sait que, pendant trente ans, ils ont dirigé les plus grands théâtres parisiens et y ont créé la plupart des pièces à grand succès... et après quoi, ils ont repris le métier de leur première jeunesse ! Tenez, venez plutôt ce soir et vous aurez là, matière à faire un " papier " bien plus amusant et bien plus intéressant pour vos lecteurs.
        J’ai évidemment suivi cet excellent conseil et je dirai, sans plus tarder, que je ne l'ai pas regretté.
        Pendant trois heures, assis au premier rang, " pour mieux voir... " devant ce défilé de tours de prestidigitation, de substitutions ahurissantes, d'apparitions imprévues, de suggestions mystérieuses et inattendues, exécutés avec une rare élégance et une sobriété de gestes peu commune, Je me suis creusé la tète pour savoir "comment ?" tout cela se faisait... et bien entendu, je n’ai rien trouvé. D'ailleurs, voyant nos mines sans doute ahuries et notre désir de comprendre, tantôt Vincent, tantôt Emile Isola, reprenait la démonstration avec des paroles fort encourageantes : " Je vais maintenant vous montrer comme tout cela est facile, et vais recommencer très lentement... " Bien que tous les gestes fussent décomposés avec calme et lenteur, les nœuds les plus tortueux se défaisaient subitement, un lapin surgissait de la poche du gilet de mon voisin et des poissons rouges dans un bocal sortaient d'un chapeau à l'air fort innocent pourtant.
          Mais voici plus fort encore : quatre auditeurs, dont je suis, vont sur la scène, et ligotent bras, jambes et buste d'Emile Isola sur une chaise. Une douzaine d’instruments bruyants, sifflets, clochettes, trompettes, sont glissés dans ses poches. Le « patient » par nos soins, est enfermé tout seul derrière un petit rideau. Le temps de compter jusqu'à vingt, et un vacarme effroyable se produit. On ouvre le rideau et l'on voit les instruments de musique bien sagement rangés sur le sol. Emile Isola ligoté, mais sans veston, et en bras de chemise !... Son frère rajuste son monocle, parait un lieu surpris et pour mettre les choses au point, demande aux auditeurs de désigner quelqu'un pour venir se placer à coté d'Emile. Aussitôt dit aussitôt fait... Dix-huit, dix-neuf... vingt ! Le rideau s écarte et stupeur !... Emile Isola est toujours ligoté de la même façon sur sa chaise, mais il porte sous ses liens, le veston de son voisin qui est maintenant en bras de chemise et qui ne comprend absolument rien à ce qui s'est passé...    Moi non plus du reste, et tout le monde en fait autant.
Voulez-vous maintenant un autre aspect du monde des mystères ? Voici les transmissions de pensées : on ne peut rien cacher à Vincent Isola et sa partenaire qui dévoile au piano le morceau de musique auquel vous venez de penser secrètement.. Et si vous pensez à une vedette de cinéma ou de théâtre, vous l’entendrez aussitôt parler sur la scène, comme si elle se trouvait réellement là... ...Eh bien, après des explications aussi précises, vous avez peut-être compris ? Si oui, vous seriez bien aimables de me le faire savoir, car ce qu'il y a d’étonnant dans ce genre de spectacles, c'est que plus on cherche... moins on trouve !
       D'ailleurs, pourquoi essayer d'obtenir une solution à tous ces problèmes mystérieux ? Ne vaut-il pas mieux rester enfoui dans cette atmosphère de l'illusion et du fantastique, qui est représentée avec un tel art et une recherche de finesse si exceptionnelle, que l'on ne peut faire autrement que de se laisser subjuguer doucement par le spectacle et il ne reste plus alors qu'à applaudir avec enthousiasme ces deux enchanteurs, véritables maîtres de l'art ancien de la prestidigitation et leurs dignes partenaires.                            DELUNE