"Une
interview ? " m'avait
dit l'administrateur du théâtre,
mais que voulez-vous que vous disent les frères Isola ?...
Tout le monde
connaît leur vie. Chacun sait que, pendant trente ans, ils ont dirigé les
plus grands théâtres parisiens et y ont créé la plupart
des pièces à grand succès... et après quoi, ils ont
repris le métier de leur première jeunesse ! Tenez, venez plutôt
ce soir et vous aurez là, matière à faire un " papier " bien
plus amusant et bien plus intéressant pour vos lecteurs.
J’ai évidemment suivi cet excellent conseil et je dirai, sans
plus tarder, que je ne l'ai pas regretté.
Pendant trois heures, assis au premier
rang, " pour
mieux voir... " devant
ce défilé de tours de prestidigitation, de substitutions
ahurissantes,
d'apparitions imprévues, de suggestions
mystérieuses et inattendues,
exécutés avec une rare élégance et une sobriété de
gestes peu commune, Je me suis creusé la tète pour savoir "comment
?" tout cela se faisait... et bien entendu, je n’ai rien trouvé.
D'ailleurs, voyant nos mines sans doute ahuries et notre désir de comprendre,
tantôt Vincent, tantôt Emile Isola,
reprenait la démonstration
avec des paroles fort encourageantes : " Je vais maintenant vous montrer
comme tout cela est facile, et vais recommencer très lentement... " Bien
que tous les gestes fussent décomposés avec calme et lenteur,
les nœuds les plus tortueux se défaisaient subitement, un lapin
surgissait de la poche du gilet de mon voisin et des poissons rouges dans un
bocal sortaient d'un chapeau à l'air fort innocent pourtant.
Mais voici plus fort
encore : quatre auditeurs, dont je suis, vont sur la scène,
et ligotent bras, jambes et buste d'Emile Isola sur une chaise.
Une douzaine d’instruments bruyants, sifflets, clochettes, trompettes,
sont glissés
dans ses poches. Le « patient » par nos soins, est enfermé tout
seul derrière un petit rideau. Le temps de compter jusqu'à vingt,
et un vacarme effroyable se produit. On ouvre le rideau et l'on voit les instruments
de musique bien sagement rangés sur le sol. Emile Isola ligoté,
mais sans veston, et en bras de chemise !... Son frère rajuste son monocle,
parait un lieu surpris et pour mettre les choses au point, demande aux auditeurs
de désigner quelqu'un pour venir se placer à coté d'Emile.
Aussitôt dit aussitôt fait... Dix-huit, dix-neuf... vingt ! Le
rideau s écarte et stupeur !... Emile Isola est toujours ligoté de
la même façon sur sa chaise, mais il porte sous ses liens, le
veston de son voisin qui est maintenant en bras de chemise et qui ne comprend
absolument rien à ce qui s'est passé... Moi
non plus du reste, et tout le monde en fait autant.
Voulez-vous maintenant un autre aspect du monde des mystères ? Voici
les transmissions de pensées : on ne peut rien cacher à Vincent
Isola et sa partenaire qui dévoile au piano le morceau de musique auquel
vous venez de penser secrètement.. Et si vous pensez à une vedette
de cinéma ou de théâtre, vous l’entendrez aussitôt
parler sur la scène, comme si elle se trouvait réellement là...
...Eh bien, après des explications aussi précises, vous avez
peut-être compris ? Si oui, vous seriez bien aimables de me le faire
savoir, car ce qu'il y a d’étonnant dans ce genre de spectacles,
c'est que plus on cherche... moins on trouve !
D'ailleurs, pourquoi essayer d'obtenir
une solution à tous
ces problèmes
mystérieux ? Ne vaut-il pas mieux rester enfoui dans cette atmosphère
de l'illusion et du fantastique, qui est représentée avec un
tel art et une recherche de finesse si exceptionnelle, que l'on ne peut faire
autrement que de se laisser subjuguer doucement par le spectacle et il ne reste
plus alors qu'à applaudir avec enthousiasme ces deux
enchanteurs, véritables
maîtres de l'art ancien de la prestidigitation
et leurs dignes partenaires. DELUNE