--------------: « Le Petit Dauphinois» , du Jeudi 6 mai 1937

TOUS LES MÉTIERS ONT LEURS HÉROS

   
  concentré : A 77 ans, avant d'entrer en scène, après 48 ans de vie commune, Emile pleure son épouse de 88 ans !
           
 
-- Paris, 5 mai : Des quatre coins de France viennent d’arriver aujourd’hui, à Paris, quinze héroïques sauveteurs, dont les exploits seront récompensés dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en présence du Président de la République.
---- La marine et les côtes bretonnes auront comme il convient, la place d’honneur dans ce public rendu aux pêcheurs d’hommes. On nous permettra, toutefois de regretter l’absence des guides qui, comme chaque année, avec le même désintéressement et le même héroïsme, risquent leur vie dans nos montagnes, pour arracher d’imprudents alpinistes à la mort. Ils ont d’autant plus de mérite que bien souvent, les gens qu’ils sauvent faisaient fi de leur expérience. Mais, je le sais, chaque métier a ses héros et la Sorbonne ne serait pas assez vaste s’il fallait féliciter tous ceux qui plus ou moins obscurément se sacrifient, sans songer aux médailles, aux diplômes et aux poignées de mains officielles. Chaque métier, oui, fut-il apparemment frivole et dénué de risques.

 
 
---- A ce propos, je voudrais vous conter une histoire, au risque de chagriner un peu plus celui qui mérite bien d’être appelé héros.
---- Dimanche dernier, M. Antoine Borrel présidait la fête annuelle des petits Savoyards et petits Parisiens à la montagne. A sa demande, les frères Isola avaient accepté de figurer gracieusement au programme, parmi les autres vedettes de la matinée. On sait combien le sort fut injuste pour ces deux hommes, qui doivent aujourd’hui gagner le pain de leurs vieux jours en exécutant un numéro de prestidigitation, après avoir dirigé les plus grandes scènes de Paris. En arrivant à la salle Pleyel, le sénateur de la Savoie trouva, dans un coin des coulisses, Emile Isola pleurant contre l’épaule de son cadet.
- Qu’avez-vous, mon pauvre ami ? s’enquit notre éminent collaborateur.
- Ma femme est morte ce matin, balbutia Emile Isola, comme en s’excusant de laisser ainsi paraître sa douleur.

"Sido"

Sidonie Marie Victorine Courbarien
1849 ~ 1937
 
 


Emile et Sido
---- Mais il ne fallait pas venir, s’empressa de répondre M. Antoine Borrel. Il faut vite retourner auprès d’elle. Nous nous en voudrions de vous imposer un tel déchirement. Alors, celui que les plus grands artistes de notre temps appellent encore avec un respect infini « le patron », eut cette exclamation poignante.  
 

- ----Nous vous avions promis d’être présents. Et puisque c’est pour une bonne cause, ce sera pour moi une consolation.
------ Et comme l’heure était arrivée d’affronter le public, les frères Isola montèrent sur la scène, le sourire aux lèvres, pour émerveiller, pendant une demi-heure les petits et les grands par leur brio, leur dextérité et leur verve. Personne dans l’assistance n’aurait pu penser que l’un de ces hommes portait au cœur une blessure saignante et obsédante, comme celle de Paillasse. Emile Isola ne répondit pas aux ovations qui, par la suite, le rappelèrent sur la scène. Il avait fait son devoir. Maintenant, il pouvait pleurer tout son saoul, derrière le rideau.
C’est tout.

Jean DERIVES

 
 

----Sidonie Marie Victorine Courbarien est née à Banize dans la Creuse le 12 décembre 1849.En 1889, année de l'exposition universelle, Elle se marie avec Emile Isola. Cette union eut lieu le Samedi 1er juin 1989, a la mairie du XV ième arrondissement de Paris 10 minutes avant celle de Vincent, son frère cadet avec Louise Clara Thiesset en préesnce leur père, Antoine qui avaient fait le voyage Blida - Paris pour assister aux trois évènements. Elle fut sa compagne pendant 48 ans, de tous les moments, les bons et les mauvais. (voir article décès épouses) - -------C. LOUBET