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Source BNF

   
         
   

Le Journal Amusant du 31/10/1903:------ENTRE COUR ET JARDIN -------------------------------------
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Bleu en haut, bleu en bas, bleu partout. Tapis bleus, lampes bleues, rideaux bleus, petit manteau bleu (Arlequin), tel est le théâtre de la gaité; la vieille Gaité française rajeuni, restauré , passé au bleu de tant de splendeur; il s'attendait à ce que les chanteurs vinssent entonner le fameux air:
---------------------P'tit bleu, p'tit bleu, p'tit bleu etc.
--- Et le noble poète Sully Prudhomme, s'il eût assisté à cette représentation, eût certainement murmuré ;
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Il existe un bleu dont je meurs
--------------------Parce qu'il est dans un théâtre…

---- Ces sous ses frises pimpantes, couleur de ciel sans orages, sans nuages et sans oiseaux, sous ces corniches dorées et redorées que la nouvelle direction a donné la reprise d'Hérodiade.(voir programme)
------ Nous ne vous parlerons pas de cette célèbre partition, qui est dans tous les phonographes; nous ne vous rediront pas l'enthousiasme excité par la belle, onduleuse et harmonieuse Calvé, amoureuse de l'apôtre Jean, Jean qui rit dirent les soiristes, émerveillés de la bonne mine de M. Jérôme.
-------Passons sur le triomphe de Renaud dans l'exquise mélodie : Vision fugitive….que soupirent trop de maigres demoiselles sur trop de pianos mal accordés.
------ Il est bien plutôt dans notre rôle de vous conter les à-côtés de cette sensationnelle réouverture. Que de potin et que de potins ! Le jour de la première surtout fut épique. MM. Isola sont secondés dans leur entreprise par deux directeurs, l'un musical: M. Luigini; l'autre artistique: M. Saugey.
------ C'est M. Saugey, qui vient de Nice, est paraît-il, un tempérament fort irascible, et s'il faut le comparer à une plante du Midi d'où il arrive, ce serait non pas au souple mimosa ou au jasmin parfumé, mais plutôt au rude cactus ou à l'aloès épineux.
---- M. Saugey fit répéter Hérodiade d'une façon toute militaire. Certain jour, assurent les potins des coulisses, M. Milliet, l'auteur du livret, invoquant sur un point de mise en scène l'autorité du maître Massenet, M. Saugey lui répondait : "Il n'y a ici d'autre maître que moi!"
---- Un autre jour il invita brusquement Mlle Calvé à quitter le théâtre. Cette illustre cantatrice, qui n'est point habituée à ce genre d'amabilité niçoise, en témoigna plus que du dépit.
---- Enfin, les paroliers ayant pour leur malheur déclaré à M. Saugey qu'ils allaient en référer à la commission des auteurs dramatiques, celui-ci leur aurait, dit-on, rétorqué avec sa franchise de vieux grenadier : " Je me fiche de la commission et de toutes les nullités qui la composent…"
---- On n'avait pas fini de commenter toutes ces algarades qu'éclata l'histoire des billets de première. Ces billets avaient été d'abord côtés à 25 francs l'un, et toute la salle était faite à ce tarif plutôt boïard. La répétition générale ayant été superbe, l'administration du théâtre pensa qu'elle pouvait corser encore sa recette et mit brusquement ses fauteuils à 40 francs. Les gens qui avaient souscrit pour une livre sterling trouvèrent que deux louis étaient tout de même un peu salés et s'abstinrent.
---- Les marchands de billets placèrent tout de même quelques coupons au prix fort ; mais malgré leur bonne volonté, s'il y avait la qualité, il n'y eut pas la quantité, et le jour de cette grande première on n'eu qu'une salle à moitié pleine, ce qui est somme qu'une salle à moitié vide.
---- Tout ça est oublié à cette heure, mais des petites anecdotes d'histoire théâtrale qu'il est bon de transmettre à la postérité prochaine.
---- Les revues de fin d'année trouveront leur pâture en ces épisodes. Recommandons leur aussi la scène où l'on verra MM. Renaud et Duc, Mmes Calvé et Litvinne, prêtés pour un soir, boucler la boucle à l'Olympia.