Rendez-Nous Nos illusions ...
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C’est à une grande soirée qu'avait été convoqué tout ce qui compte, à Paris, dans le monde de l'art, de la critique et du théâtre. Un programme étourdissant réunissait les plus grands noms de vedettes : Sacha Guitry, Tristan Bernard, Victor Bouclier, Maurice Chevalier, Damia, Max Dearly, Fréhel, Mayol, Marguerite Moreno, Gaby Morlay, Pauline Carton, Arletty, Jacqueline Delubac, Jean Weber. Mais certes, nulle ovation n'atteignit l'intensité de celle qui salua d'un tonnerre d'applaudissements les Frères Isola, exécutant devant ce public de choix les merveilleux tours de prestidigitation qui firent, voici quelque quarante ans, leur célébrité.equelque quarant

   
 
-------------Eux-mêmes se sont, à maintes reprises, qualifiés « enchanteurs illusionnistes » ; et ce fut bien réellement l'impression des spectateurs qu'ils assistaient à un enchantement lorsque sous leurs yeux après avoir réussi d'invraisemblables tours de passe-passe, Vincent Isola, paisiblement, escamota son frère Emile, assis à côté de lui et le fit apparaître sur-le-champ dans la salle.
----Et dans l'assistance, nombreux étaient les visages qui se ridaient sous l'influence de l'émotion souvenir.
 
 
---- Combien, parmi ceux qui étaient là, se revoyaient, petits garçons ou petites filles à l'époque de l'Exposition, celle de 1900, enchantés, ravis, criant de joie devant les frères Isola.
---- Déjà à cette époque, où cependant prestidigitateurs et illusionnistes n'étaient pas rares, Emile et Vincent Isola étaient considérés comme de véritables phénomènes, habiles entre les plus habiles. Déjà à cette époque, après avoir fait pleuvoir des pièces de cent sous dans un haut de forme, ils escamotaient des personnages de l'assistance, puis finissaient par s'escamoter l'un l'autre. Sans doute, comme lorsqu'il s'agit des bons mots de Tristan Bernard, nombre de ces histoires sont-elles apocryphes.
---- Ne dit-on pas, par exemple, que Vincent, feignant une grande inquiétude, disait au fameux spectateur du premier rang, toujours prêt à engager la controverse et d'ailleurs bien souvent comparse :
— Mais qu'avez-vous donc fait de mon frère ?
Et devant les dénégations de l'autre qui jurait le nom du seigneur que jamais, au grand jamais
il n'avait « touché à Emile Isola », Vincent hésitait, reculait, puis brusquement bondissait en
avant, clamant :
— Mais il vient de tomber de votre poche, Monsieur !
Il ramassait, en effet, un Emile, semblant quelque peu froissé, aux pieds du monsieur.
----- Personne n'a jamais su comment ils s'y prenaient, et eux-mêmes n'ont jamais dévoilé leurs
« trucs ». Une fois cependant….En ce temps-là les Isola en étaient à leurs quasi-débuts, du moins comme directeurs de théâtre et organisateurs de spectacle. Ils avaient pris le petit théâtre des Capucines, où ils organisaient d'étonnantes représentations.
---- Sacha Guitry, à certaine époque, y connut de grands triomphes. Comme, après une série de représentations qui faisaient salle comble, les Isola sollicitaient Sacha, arrivé à fin d'engagement de rester, celui-ci accepta, mais à une condition :
— Je reste, mais vous viendrez chaque soir dans ma loge m'apprendre un tour.
Ce qui fut entendu.
---- Donc chaque soir les deux frères venaient dans la loge du comédien et s'installaient derrière leur table : « Mesdames et messieurs, commençaient- ils, vous voyez.

Sacha Guitry
— Mais je suis tout seul, protestait Sacha Guitry, point besoin de ce préambule.
— Si, si, disaient les frères, il ne faut rien changer au discours, tout raterait ! » Et chaque soir aussi, le tour était démontré devant le seul Sacha, pompeusement qualifié « mesdames et messieurs ».
   

Vincent et Emile en 1936
  ---- Après le théâtre des boulevards, l’Opéra-Comique. Là, les Isola donnèrent libre cours à leur goût, à leur fantaisie. La mise en scène, le décor étaient pour eux matières plastiques qu'ils manipulaient au gré de leur rêve. Leur générosité, leur bonté, l'accueil qu'ils faisaient, si pitoyable, à toutes les misères, les avaient entourés d'une sorte de protection contre l'envie. Cependant le succès matériel ne couronna pas toujours leurs efforts. Les difficultés financières s'en mêlèrent.
---- Nous avons cité les Capucines et l'Opéra-Comique. En réalité, en 40 ans, les Isola dirigèrent
trente scènes parisiennes. Comment les nommer !
---- Le métier de directeur de théâtre enrichit rarement son homme. Les Isola se retrouvèrent un
jour presque sans ressources.

— Demandons avis à Sacha, dirent-ils.
---- L'auteur de Pasteur, consulté, se souvint de la ferveur avec laquelle, petit garçon, il applaudissait les tours des prestidigitateurs. Il se rappela la joie qu'il avait éprouvée quand, plus tard, lui même se faisait montrer les fameux tours. Il conseilla à ses vieux amis de reprendre la baguette et de rendre au monde tant d'illusions perdues.

— Je vous assure, vous recréerez un métier perdu. Vous retrouverez votre jeunesse…
Les frères Isola ont, après quelque hésitation, cru ce que leur conseillait Guitry. Ils ont refait un court apprentissage, retrouvé les anciennes habiletés, découvert des tours inédits. Sous le parrainage de leurs amis, ils viennent de re-débuter dans la carrière d'illusionnistes.

Paul-Albert MASSON.