Il y a trois ans avec le dernier des ISOLA, c ’était encore un peu de “ la belle époque ” qui disparaissait.
Paroles Françaises le lundi 21 août 1950
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Deux ans après son “ frère siamois de théâtre
”, Emile (décédé le 17 mai 1945), Vincent Isola quittait
notre “ vallée des larmes ” à l’âge des
85 ans. Ces deux “Algérois ”, nés à Blida en
1860 (Emile) et 1862 (Vincent) au centre de la subdivision militaire du fameux
général Youssouf, avaient conquis Paris grâce à leur
talent, leur ténacité et leur courage.A toutes les “ premières
”, à toutes les “ générales ”, on était
sûr de rencontrer “ Isola Madre ”, surnom de l’aîné,
accompagné “ d’Isola Bella ”, son cadet. Pourtant,
leurs débuts avaient été très difficiles. Leur réussite
n’en était que plus méritoire.
Leur père, responsable d’une nombreuse famille, avait tenu à
ce qu’ils apprennent un métier manuel. L’un était
donc devenu menuisier, l’autre mécanicien. Ce qui, plus tard, devait
beaucoup les aider dans la préparation matérielle de leur numéro.
Très jeunes, enthousiasmés par l’illusionniste Bosco, ils
se produisent devant les terrasses des cafés d’Alger. A la suite
de quoi leur compatriotes Victor de Cottans, revuiste, et Paul Gavault, vaudevilliste,
les incitent à venir tenter leur chance en France. Ils se rangent à
leurs avis autorisés et, à vingt ans, débarquent à
Marseille.
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Selon le principe du compagnonnage, alors en vigueur, ils commencent
leur tour de France en travaillant de leur métier, tout en pensant à
leur futur “ numéro ”. Ils séjournent même un
certain temps chez leur beau-frère, cordonnier à Vouziers. Puis,
en 1880, ils arrivent dans la capitale, où ils participent, pour 13 francs
par jour, à la construction des fenêtres de l’Agence centrale
du Crédit Lyonnais, boulevard des Italiens !
Grâce à leurs économies, ils peuvent bientôt acquérir,
pour 1.000 francs, un accessoire de prestidigitateurs, acheté au carreau
du Temple ! Enfin, toutes leurs idées originales vont pouvoir se concrétiser
! En effet, en 1881, ils présentent avec le concours de leurs épouses,
Sido (qui se cachait dans la “ malle mystérieuse ” !) et
Annette, leur “ numéro ” à la Scala. Devant le peu
de succès remporté, ils décident d’aller le perfectionner
en province, où ils jouent dans des cercles familiaux et des écoles.
En 1886, ce même numéro, revu et corrigé, obtient un franc
succès aux Folies-Bergère. C’est le départ vers la
gloire … et la fortune.
Six ans plus tard, ils le présentent, à leur compte, dans la salle
des Capucines, dont ils sont devenus directeurs. De 21 à 23 heures, ils
charment leurs spectateurs. Leur première représentation leur
a rapporté, tous frais déduits, la somme de 28 francs qu’ils
partagent.
Cinq ans après, ils prennent la direction du “ Parisianna ”,
où ils montent des opérettes et des revues.
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Tour à tour, on les verra diriger l'Olympia, où ils firent
jouer le Toréador, les “ Folies-Bergère ”,qui les
avez rendus célèbres. Ils entreront au sujet de ces deux salles,
en conflit avec le fisc qui les taxe comme cafés-concerts, et le conseil
d’état rejettera leur pourvoi. Un autre procès les opposera
à Eva Sarcy qu’ils voulaient faire danser autrement qu’en
“ tutu ”. ils le perdront également.
En juin 1905, une délibération du Conseil municipal leur enjoint
de prendre la gestion directe du théâtre de la Gaîté-Lyrique,
et leur interdit toute sous-location. C’est sur cette scène qu’Emma
Calvi, et le baryton Renaud triompheront dans Hérodiade.
-Le 21 juin 1910, l’acteur Vilbert doit leur payer un dédit de
3.000 francs.
-Le 17 octobre 1913, un différend les oppose à Gheusi, avec qui
ils sont codirecteurs de l’Opéra-Comique. Différend à
la suite duquel ils assumeront seuls la direction de cette salle pendant sept
ans. A son sujet, un procès les oppose la direction terminée,
au ministre des Beaux-Arts, François Albert, qui devra leur verser 1.500.000
francs.
-Le 17 juillet 1925, ils obtiennent la concession du Théâtre Sarah-Bernhardt,
où ils donneront le grand succès, Ces Dames aux chapeaux verts.
Enfin, c'est sous leur gestion qu'eut lieu, à “ Mogador ”,
la 10000ieme représentation de Rose-Marie, qui avait été
précédé par No, No, Nanette et devait être remplacée
par l'Auberge du Cheval Blanc.
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Mais la crise survient, et les dernières opérettes à
grand spectacle ont vidé leurs caisses. Ces hommes intègres et
généreux qui avaient enrichi certains de leurs commanditaires
sont obligés de reprendre le “ numéro ” de leurs débuts,
avec une légère variante toutefois: Emile remplace Sido dans la
Malle mystérieuse. Un gala est organisé en leur faveur, le 4 octobre
1936. à l'A B C, sur la scène duquel ils se produisent peu après.
ils essayent de prendre, en 1937, la direction de l'ancienne salle de la Potinière.
Puis, on les applaudira au Cirque Medrano, au music-hall de l'Etoile, au Théâtre
Pigalle, où ils monteront, en 1943, Rien qu'un baiser!
Mais leurs efforts ne sont plut récompensés. Le ressort est cassé
! La misère les guette à nouveau, malgré la vente à
Saint-Cloud en mars 1939, des collections de Vincent. Leurs épouses meurent,
puis Emile, Henri Varna offre à Vincent une représentation de
son grand succès, No, No, Nanette, et jusqu'au 2 septembre 1947, on n'entend
plus parler des Isola...
- Notre
génération se devait de rendre un hommage posthume à ces
deux hommes. Puissent ces quelques lignes leur prouver, au fond de leur tombe
du cimetière des Batignolles, que les “ jeunes ” s'il ne
leur a pas été permis d'admirer leur numéro initial, leur
sont reconnaissants de les avoir charmés avec leurs grandes opérettes
de “ la belle époque ”.
Robert SEVOZ.