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Les Isola sans cesser d'être illusionnistes deviennent
directeurs du Théâtre Isola.
Un peu partout où le public se presse on a mis ces derniers soirs,
ici une loge, là deux chaises
supplémentaires et non prévues sur le plan agréé
par les services compétents de la préfecture de police,
pour permettre aux célèbres frères de jouir de leurs
derniers jours de liberté. C'est ainsi que je les ai rencontrés
hier, discrets quant à leurs projets, mais si délicieusement
loquaces tout de même...
Voyez-vous, me dit Vincent, Voyez-vous nous
n'avons plus d'argent, plus de voiture, mais nous avons une richesse que
personne ne pourra jamais nous prendre : la reconnaissance
de Paris — car Paris a du cœur
; un très grand cœur, il se souvient, croyez-moi :
— N'est-ce pas tout naturel, messieurs, vous avez tant fait pour
le public !
— Nous avons toujours été scrupuleusement honnêtes,
ajoute Émile, de sa voix un peu effacée
: nous avons remis 36 millions à l'Assistance publique que nous
ne regrettons pas une seconde ; nous avons royalement
payé nos interprètes. C'est que nous-mêmes,
aux belles années de Mogador,
gagnions beaucoup d'argent...
—
Évidemment, nous avions des fins de mois parfois pénibles,
et poursuit M. Vincent Isola, permettez-moi de
vous conter une anecdote : lorsque nous avons recommencé à
travailler à Paris, nous avons présenté notre numéro
dans un célèbre music-hall : le directeur, plein d'égards
pour nous, nous envoya à la fin de la première semaine un
huissier dans notre loge, qui nous demanda si nous désirions passer
à la caisse ou être payés dans notre loge, ce qu'on
ne fait jamais. Et nous avons eu alors une exclamation que ce brave huissier
ne pouvait pas comprendre : « Mais, mon cher
monsieur, à la caisse, payez-nous à la caisse, comme tout
le monde. Songez donc que c'est la première fois qu'on nous paye
et que nous ne payons pas les autres ! Quelle volupté !
»
Et les souvenirs arrivent,
pressés ; je les glane avec recueillement
—
Te souviens-tu, Émile, de cette soirée au Casino
de Cannes, où avant la représentation,
le Directeur vint nous prévenir que Mrs. Simpson
se trouvait au premier rang de l'assistance, non loin du roi de Suède?
Nous l'avons longuement regardée au cours du spectacle : jolie
? Non, mais un regard brillant d'intelligence, elle l'a d'ailleurs prouvé
depuis! et, en partant, Mrs. Simpson remit au directeur du casino une
dédicace qu'il ne voulut pas nous abandonner et où elle
disait avec esprit : « Depuis ce soir je puis
dire à mes amis que je suis une vraie Parisienne, car j'ai enfin
vu les frères Isola ! ».
— Nous avons été reçus princièrement
à Genève où la délégation française
nous accueillit avec des fleurs ; il y a quelque temps, nous avons fait
notre numéro de prestidigitation à l'Hôtel de Ville
en présence de M. et Mme Lebrun, et le
président voulut bien accueillir par des applaudissements notre
entrée en scène — souvenirs toujours, magnifiques
souvenirs !»
Nous avons deviné il y a bien longtemps déjà, la
vogue du petit théâtre parisien; poursuit Vincent —
nous le disions souvent à Berthez qui reprit les
Capucines. Et
le public aujourd'hui, nous donne raison — Rostand seul, pouvait
emplir de vastes salles comme la Porte
Saint-Martin.
Au
lendemain de la guerre, le public qui avait un besoin absolu de rire,
se pressait à « Sarah-Bernhardt
» pour voir « Mon Curé chez les riches »,
que nous lui présentions. Mais aujourd'hui, pour nos auteurs contemporains
et leurs courtes pièces, il faut de petits théâtres.
»
Et de conclure : — de petits théâtres comme celui
que vous savez et qui nous vaudra beaucoup de soucis, mais aussi, espérons-le,
beaucoup de joie.
Et je regarde
s'éloigner ces deux personnalités
éminemment parisiennes, dont on trouvait déjà
presque quotidiennement la double silhouette personnelle sous le crayon
de Sem, et dont le nom était évoqué
dans tous les comptes rendus mondains, il y a un quart de siècle.
Jamais ils ne m'avaient paru si jeunes.
LISE
GEISMAR
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