------source Source BNF-----: « Le Journal amusant» , du Samedi 10 janvier 1903

ENTRE COUR ET JARDIN
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les FOLIES-BERGÈRE

     
--Les frères Isola, après avoir mystifié naguère le public par leurs tours ingénieux et leur étonnantes créations, dans La Carotte, la petite salle qu'occupe maintenant le gentil théâtre des Capucines, ont entrepris de l'éblouir par le faste et l'éclat de leur mise en scène, que ce soit à l'Olympia ou aux Folies-Bergère.
-- Les frères Isola ont déjà pleinement réussi dans ce somptueux projet. Ils sont petit à petit devenus des physionomies « bien parisiennes ». On voit partout leur double silhouette : l'un fier, cambré, le haut de forme luisant, la lorgnette à l'œil ; l'autre courbé, réfléchi, méditatif; le premier semble le bras, le second, la pensée. C'est un excellent attelage. On essayerait en vain de les « désiamoiser » . ---- — On y perdrait son temps. Ils sont unis comme les deux doigts de la main. Le docteur Doyen lui-même ne parviendrait pas à les séparer, même en les opérant au Champagne.

Personnages des Folies-Bergère en 1900
 
---- Ils nous ont donné cette semaine aux Folies-Bergère une preuve éclatante et nouvelle de leur magnifique bon goût. On ne peut rêver en effet de plus élégants et de plus troublants défilés où les beautés de la chair rivalisent avec le chatoiement des bijoux et des soies. Et quels décors! Albert Carré lui-même pourrait en être jaloux. On n'est pas plus Amable. Aussi récolteront-ils une Moisson de bravos. — Deux calembours dans la même phrase, c'est éreintant! — Disons d'ailleurs que les décors sont de Ménessier.
---- L'aménageur de la revue est un rengagé du succès, Victor de Cottens, époux divorcé de Paul Gavault. D'ailleurs ces deux hommes d'esprit se sont remariés chacun de son côté.
---- Ce n'est qu'une longue succession de clous, de clous â tète de diamants, de scènes bouffonnes et de bonne verve satirique, de prétextes séduisants à reconstitutions gracieusement historiques. Nous assistons aussi â une fête Renaissance dont Mlle Clémence de

Pibrac — si pareille, par la beauté sculpturale des formes, aux grosses dames qui trônent sur la place de la Concorde — et l'exquise Verena — nom de femme qui semble celui d'une fleur et qui baptise aujourd'hui les deux ensemble — excellente phrase, style Catulle Mendès — font royalement les honneurs d'une Venise galamment boulevardière.

 
---- ----Nous suivons tant de jolies jupes aux légers envolements — les plus courtes sont les meilleures, affirme notre Maurice Donnay — au marché aux Fleurs, où elles vont faire leur provision de Capus.. .sines, à l'occasion de la Saint-Alfred; au pays des Diamants, au pied de la statue du père Dumas, à Villers-Cotterets, où nous applaudissons les évolutions parfaitement réglées d'un bataillon de gentils petits mousquetaires. Nous les suivons partout. Nous les suivrions même à la sortie jusque chez elles si un respect humain des plus honorables ne nous en empêchait pas.
Et que de scènes spirituellement lancées! Celle où les expulsions de
 

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Emile et Vincent

bonnes sœurs sont plaisamment ridiculisées, pour la plus grande confusion des persécuteurs; celle de l'omnibus Madeleine-Bastille, qui a été pour les Price l'occasion d'exécuter devant nous des culbutes ironiques; celle des Apaches, où Maurel — désopilant chanteur et très fin comédien — s'est taillé un complet succès ; celle du théâtre de Pantins,
 
où Marguerite Deval, la maîtresse du couplet à diction — heureux couplet — nous a paru plus spirituelle et plus railleuse que jamais; celle où Otéro nous a montré la perfection de sesémeraudes, de ses rubis et de ses jambes et une voix toute neuve et très brillante dont lui a sans doute fait cadeau quelque riche étranger.
— J'en passe et des meilleures.
Emile et Vincent
— Et je ne peux oublier ni Paul Fugère, si plaisant et si rondement comique avec ses effarements naïfs et ses grimaces poupines; ni les bons toutous — qui nous ont joué, aussi bien que s'ils étaient de la Comédie française, une scène des mieux écrites. Je ne veux pas oublier non plus toutes les belles et galantes dames qui nous ont prodigué les grâces de leurs torses, l'éclat de leurs épaules et la tentation de leurs lèvres écloses. Vous aurez là le moyen de faire le tour du demi-monde en beaucoup moins de quatre-vingts jours. Ce serait une omission coupable de négliger le nom de deux des magiciens de la fête. Henri Gerbault d'abord, l'artiste sûr et délicat qui a dessiné les costumes, habillé et déshabillé près de deux cents petites femmes avec la grâce et la fantaisie que de bonnes fées, amies

des hommes, ont dispensées largement à son crayon voluptueux et spirituel, et Pascaud, le plus ingénieux et le plus fertile en pensées de nos costumiers. Pascaud n'est-il pas le pluriel de Pascal.
---- Heureux Isola. Tout l'or qu'ils lancèrent sur la scène d'une main prodigue va retomber centuplé dans leurs coffres. Mais comme ce sont d'aimables et honnêtes gens personne ne s'en plaindra, sauf peut-être leurs confrères.

LE MOUCHEUR DE CHANDELLES.