LE JOURNAL 16 JUIN 1937
Source Gallica
   
 


          Certains noms
, qui brillèrent, pendant l'exposition de 1900, d'un vif éclat, restent, aujourd'hui encore, chers au public. J'ai demandé, à quelques-uns des artistes qui les portent, d'évoquer, pour nous, l'ère où ils connurent leurs plus beaux succès et de nous parler du plublic d'alors.

                              YVETTE GUILBERT voir article sur Gallica

                   LES FRÈRES ISOLA
 
          Avant de devenir directeurs de théâtre et de music-hall, les frères Vincent et Émile Isola débutèrent, aux Capucines, comme illusionnistes et y firent, ainsi qu'on disait alors, « courir tout Paris ». L'année 1900 leur parait, à eux aussi, pleine de grâce.Les recettes qu'elle leur valut semblent être de celles qu'on n'oublie pas.
         " Si la saison a été bonne pour le spectacle pendant l'avant-dernière Exposition ? Ah ! Je comprends ! Ah ! Je crois bien ! Me répond l'un d'eux. Toutefois, pas pendant les deux premiers mois. Les premiers mois, vous comprenez, ce n'est jamais bon. Sauf les soirs de pluie les gens ne veulent pas s'enfermer, ils préfèrent le coude à coude, la promenade, la vue des palais, illuminés, les jeux de l'eau, la surprise. Mais après ! Après ! Quelles salles!
           Pleines à craquer, une location qui n'arrêtait pas. Et que d'artistes, alors ! Quand nous dirigions Parisiana, l'Olympia, j'avais engagé Frégoli. Je dus le garder sept mois sans interruption, tant il suscitait d'engouement. La Loïe Fuller, puis Little-Tich, la Tortajana triomphaient. On adorait les grands ballets.
                  On leur préfère, désormais, les petits divertissements. Le rythme de la vie est différent. Ce qui dure longtemps ennuie vite. Plus tard, nous faisions représenter Watteau, de Jean Lorrain, avec Liane de Pougy ; Une fête à Séville, avec la belle Otéro ; à l'Olympia, le « looping the loop », la Flèche humaine attiraient la foule. Quels applaudissements, quels rappels !
            Tandis que nous débutions aux Capucines: salle de conférence dans la journée, vers 1895, le cinéma, lui, débutait, dans le sous-sol du Grand Café, loué à Lumière. Vingt sous la place. On faisait queue jusqu'à l'Opéra.
                Oui, nous refaisons un numéro dans quelques établissements. Les mêmes tours qu'autrefois ? Pensez-vous ! Le public ne s'en contenterait plus. En quoi ils consistaient, ces tours ? En transmission de pensée, prestidigitation, magnétisme, mnémotechnie. Ça plaisait bien. Ça ne paraîtrait plus suffisant. Nous réalisons, à présent, des apparitions, disparitions, substitutions, mille choses nouvelles. Tenez, résumons :
       1900 : époque de la petite illusion, 1937 : époque de la grande illusion."
        Et de conclure avec un sourire :  

      " Mais le public est toujours en or."

                                                                                                   Huguette Garnier