Les frères Isola reprendront, à la rentrée,
le numéro de prestidigitation avec lequel, sous Carnot,
ils débutèrent à Paris, dans la salle — qui
n'était pas encore le théâtre des Capucines.
Ceux qu'on qualifia tant de fois de « fastueux
directeurs » sont ruinés aujourd'hui. La crise,
qui sévit plus, encore au théâtre qu'ailleurs, peut-être
aussi une confiance trop grande en leur étoile, ont détruit
en peu de temps la fortune que ces travailleurs avaient mis tant d'années
à édifier: au théâtre, tout est décors,
et il semble même que les écus, les billets de banque qu'on
manie dans ce royaume des illusions proviennent toujours du magasin
des accessoires.
Les
Isola ont été les grands amuseurs
de Paris : que de succès légendaires ils ont collectionnés
au cours de leurs quarante-ans de théâtre! Et que de millions
représenta pour eux le droit des pauvres! Pauvres, ils le sont
devenus ou redevenus. C'est l'histoire de bien des directeurs, auteurs
et artistes : la pauvreté des autres a des droits sur eux mais,
leur pauvreté n’a de droits sur personne.
Les Isola ne sont tout de même pas des
isolés, bien qu' Ovide ait dit, en latin, dans
les pages roses du petit Larousse : « Tant
que tu seras heureux, tu compteras
beaucoup d'amis. » (Je crois d'ailleurs que cette
pensée cruelle, n'est pas très juste : on n'a peut-être
de vrais amis que lorsqu'on est malheureux, alors que le succès,
la fortune créent le plus souvent, de la jalousie, de l’antipathie
et même de la haine.) Quoi qu'il en soit, la « rentrée
» des Isola comme prestidigitateurs est patronnée
par de nombreuses personnalités parisiennes.
Même s'ils ratent quelques-uns de leurs
tours , dame! depuis le temps. on les acclamera. Pendant un soir tout
au moins, Paris se souviendra. N'importe, c'est d'une autre manière
que les anciens directeurs des Folies-Bergère, de l'Opéra-Comique,
des théâtres Mogador, Sarah-Bernhardt,
etc., étaient naguère des « magiciens
», et ils auront un sourire amer en cueillant, au nez de leurs
nouveaux spectateurs, quelques pièces de cent sous.
Sans doute, il se trouvera des
Caton pour dire:
- Pourquoi cette double infortune
nous paraîtrait-elle plus digne d'intérêt que la
déconfiture de Tartempion ? Les Isola sont venus,
nous les avons vus, ils ont vaincu, et maintenant les voilà «
sur le sable », comme tant d'autres. Histoire banale ! Seulement,
le projecteur darde volontiers son rayon sur les victoires et les désastres
de théâtre ;
Possible,
mais constatons que ce coup du projecteur ne manque pas, en la circonstance,
d'à-propos. Il met en pleine lumière un bel
exemple de résistance morale, d'énergie,
d'optimisme quand même. Les frères Isola, qui ne
sont plus jeunes, tiennent tête au destin et, courageusement,
après l'expérience de tant de dures réalités,
redeviennent illusionnistes, comme à leurs débuts. Voilà
bien ce qui s'appelle « refaire sa vie ». C'est une leçon
pour ceux qui, au premier revers, jettent le manche après la
cognée, et ils sont nombreux.
Clément VAUTEL.