Source Gallica
3/09/1947
 
   
                                                                                                                                                            Combat le mercredi 3 septembre 1947
 

       Il n'y a plus de frères Isola, Vincent, le cadet, qui voici deux ans, avait vu mourir Emile, est mort à son tour, âgé de 85 ans.
        Ce furent de grands illusionnistes et qui, disciples de Robert Houdin, n'avaient pas besoin de c en scènes orientales dont aujourd'hui s'entourent les « maîtres du mystère ». Ils travaillaient simplement comme ceux qui « font les soirées ». De l’illusionnisme de chambre.
        Ayant abandonné leurs tours de passe-passe pour diriger des scènes parisiennes, subventionnées ou non, ils furent de grands directeurs de théâtre. Les Capucines, les Folies Bergère, Parisiana, l'Olympia, Mogador, mais aussi la Gaîté Lyrique et l'Opéra-comique.
      
Il y a quelques années, la, librairie Gallimard a publié leurs Souvenirs. Ces deux hommes, que l'art précis et méticuleux de la menuiserie avait conduits à la prestidigitation, ont, dans ce livre charmant, dévoilé beaucoup moins leurs trucs d'amuseurs que leurs qualités d'hommes sensibles et d'artistes scrupuleux.
         Paris, qu'ils avaient conquis et qui leur fit toujours fête, n'avait cependant pas réussi à remplir des poches qu'ils vidaient avec cette facilité qu'ils montraient eux-mêmes à remplir les chapeaux de fausses pièces de cent sous et de vraies tourterelles.
                              Le « grand patron des illusionnistes »
      Ruinés après tant de passagères splendeurs, ils recommencèrent, très simplement et avec le sourire, à un âge avancé, leurs tours d'autrefois. C'est ainsi que les Parisiens de 1938 purent applaudir deux vieux messieurs monoclés, portant bien l'habit, de politesse et de manières exquises, refaire sur les planches de l'ancienne Potinière les trucs de Robert Houdin, y compris le placard mystérieux où Vincent, avec tant de désinvolture, escamotait son frère Emile.
        Les voici, à leur tour, escamotés par le grand patron des illusionnistes. Ils auront vécu sur cette ferre en bienfaiteurs. Les enfants et les hommes, qui leur doivent des délassements d'un goût délicat et d'une poésie charmante, se rappelleront longtemps encore ces deux hommes si distingués et si affables qui ressemblaient à des hommes du monde et qui étaient peut-être des créatures de l'autre Monde.
                                                                                                                 Jean CABANEL.


   

VINCENT ISOLA EST MORT

Article du "Spectateur" en date du jeudi 4 septembre 1947

         Avec Vincent Isola, qui vient de mourir, disparaît une des figures les plus caractéristiques du Paris d'avant la tourmente, de ce Paris tellement proche et portant déjà si lointain que les jeunes générations ne sauront bientôt plus ce qu'il représentait d'attirance et de douceur de vivre.
       Car les Isola appartiennent à une époque déterminée. Elle était déjà révolue lorsqu’il y a deux ans, l’aîné Emile, disparut le premier. Ils avaient donné ce spectacle rare, d’une solidarité fraternelle que rien ne put entamer, d’une ascension parisienne obtenue par un curieux mélange d’obstination et d’intuition au début, puis la chance étant venue, par une audace longtemps heureuse, une affabilité légendaire et une scrupuleuse droiture. Ils aimaient leur métier et en conservèrent jusqu’au bout le respect et même l’émerveillement.
              On connait leur carrière .Il semble qu'elle se soit placée pendant longtemps sous le signe d'un bonheur constant. Il n'en est pas de plus imprévue. Il n'en est aucune qui témoigne d’une aisance aussi souple dans sa réussite. Venus d’Algérie, les Isola parurent d’abord comme prestidigitateurs à ce petit théâtre des Capucines dont ils devaient bientôt assurer les destinées artistiques. Tour à tour directeurs d’établissements aussi différents que Parisiana, l’Olympia, les Folies-Bergère, l’Opéra-Comique, Mogador, Sarah Bernhardt, ils y firent preuve de vertus d’adaptation et d’imagination, d’un goût de qualité et du faste équilibré par un sens des nécessités administratives qui donnèrent à toutes leurs entreprises un rythme surprenant.
       On les voyait partout à toutes les générales, Emile un peu voûté, Vincent droit et monoclé. Ils connurent la popularité d’être caricaturés et de servir de thème aux revuistes et aux chansonniers. Il leur manquait une consécration encore.
       Elle vint à l’heure où la fortune lassée se détourna. Ils acceptèrent l’adversité avec un cran et une dignité qui forcent la sympathie et l’estime. Simplement, ils reprirent leur métier de prestidigitateurs. Emile toujours aussi effacé, simple et gentil, Vincent continuant à porter beau, descendant chaque matin les Champs-Elysées et répondant avec la rigoureuse politesse du dandy aux saluts de ses amis. Il y avait dans ce redressement des épaules, dans cette volonté de ne pas abdiquer, une leçon de tenue et d’allure plus émouvante peut-être que si le destin se fût montré clément jusqu’au bout.

Y.N

Vincent a rejoint son épouse Anne Anasthasie Bourgogne, son frère Emile et sa belle soeur Sidonie Courbarien dans le caveau du cimetière des Batignolles.