DU MUSIC-HALL A L'OPÉRA
CHEZ MM. ISOLA FRÈRES
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Voir les frères Isola est chose aisée,
car leur urbanité est bien connue mais les interviewer est beaucoup
plus difficile, surtout quand il s'agit comme aujourd'hui, d'obtenir
d'eux quelques détails complémentaires sur leur demande
de concession du privilège de l'Opéra.
---- Aussi, quand, cet après-midi,
nous leur avons fait part de notre désir, se sont-ils, tous deux,
fort aimablement d'ailleurs, mais fermement retranchés derrière
cette réponse. Nous ne pouvons rien dire, tant que le ministre
n'a pas examiné notre projet.
---- Que faire?
Insister eût été inutile nous nous retirâmes
donc; mais, pour revenir bientôt, non plus en journaliste, mais
comme le simple représentant d'une grande maison de plomberie.
----- Madame, dîmes-nous à
la concierge, nous sommes chargé, par MM. Isola
de faire une réparation dans la pièce attenant à
leur cabinet de travail; pouvons-nous monter?..
----- La brave femme alla s'enquérir
auprès des frères Isola, qui, très
occupés et ne sachant de quoi il s'agissait, durent lui faire
une réponse évasive; mais, la concierge consentit néanmoins
à nous laisser pénétrer dans la pièce en
question. C'est tout ce que nous voulions et, pendant que nous faisions
le simulacre de vaquer à des occupations imaginaires, nous eûmes
la bonne fortune d'entendre, par une porte entr'ouverte les déclarations
suivantes que les frères Isola faisaient à
une personnalité artistique très connue:
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- Si nous obtenons la direction
de l'Opéra, nous ne nous contenterons pas de reformer, mais nous
innoverons aussi! Il ne s'agit plus, en effet, d'être l'esclave
de méthodes surannées et de prétendre que l'on
ne peut faire mieux parce que le vaisseau de l'Opéra est trop
grand.
---- A
quoi bon, en outre, commencer à huit heures les représentations
? Puisqu’à ce moment-là les trois quarts de la salle
sont vides, et qu'il suffirait amplement de lever le rideau à
huit heures et demie pour terminer à minuit? Autrefois, on dinait
à six heures et l'on se rendait par conséquent plus tôt
au théâtre: de nos jours on dîne a sept, il ne faut
pas t'oublier.
---- Ce sont là de
vieilles habitudes que l'on conserve. Tout comme il est de règle
de frapper trois coups avant le lever du rideau. Pour les supprimer,
il n'y aurait qu'à vouloir le faire!
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Eh bien! Il en est pour cela comme pour bien d'autres
choses. Ainsi nous ne pouvons pas admettre que notre Académie
nationale de musique ne donne pas des représentations chaque
jour pendant la saison; il y a un nombre considérable d'Anglais
qui viennent passer à Paris la journée du dimanche, parce
que ce jour-là tout est fermé à Londres, et qui
iraient bien volontiers à l'Opéra si celui-ci était
ouvert. Donc autant d'argent de perdu; c'est inadmissible! Nous autres,
nous donnerons, le dimanche, des représentations à demi-tarif
pour que ceux qui ne peuvent payer 17 ou 18 francs un fauteuil puissent
tout de même aller à l'Opéra et, pour que celui-ci
joue tous les jours, du 1er octobre au 10 mai, nous donnerons, les mardis
et jeudis, des grands-concerts, genre Cotonne-Lamoureux.
---- Les moins fortunés auront
à leur disposition le Théâtre populaire; celui-ci
permettra de faire jouer un grand nombre d'artistes, premiers prix du
Conservatoire, qui actuellement, ne peuvent se produire en raison du
nombre insuffisant de représentations. Ce théâtre
sera également profitable aux jeunes auteurs dont les pièces
dorment trop souvent dans les cartons.
Une partie des huit cent mille francs de la subvention allouée
par l'Etat à l'Opéra, et une partie des bénéfices
réalisés serviront à augmenter les ressources du
Théâtre populaire. Et M. Vincent Isola ajouta :
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Nous voulons, a l'Opéra, faire beau et grand procéder
à ta réfection du matériel, des décors et
accessoires des pièces du répertoire, inonder la salle
de flots de lumière, pour que notre Académie nationale
de musique soit telle que nous la rêvons. Nous nous entourerons
de toutes les garanties artistiques nécessaires, en demandant
le concours des personnalités musicales les plus renommées
---- En
un mot, nous ferons beau et grand vous verrez. Et nous réaliserons
notre programme sans rien demander aux pouvoirs publics.
---- Sur ces derniers mots, pleins de promesses,
les frères Isola reconduisaient leur visiteur
jusque sur le seuil de leur cabinet de travail, pendant que nous affections
d'être plongé dans la contemplation d'un appareil quelconque,
simplement pour éviter d'être reconnu.
---- Mais les frères Isola,
nous en sommes convaincu, ne nous en voudront pas : péché
avoué doit être pardonné. Et puis ils sont si
charmants !
P.D’ASSANCE