source BNF
Décembre
1924
 
     

LES FRÈRES ISOLA
RESTERONT-ILS À
L'OPÉRA-COMIQUE ?

             MM. Vincent et Émile Isola, directeurs avec M. Albert Carré pour un an encore du Théâtre National de l'Opéra-Comique vont-ils, cette période septennale terminée, s'en tenir là et s'arrêter en si beau chemin ? N'est-il pas normal de croire — et d'espérer —• que ces actifs administrateurs se voueront à d'autres entreprises ?
            D'aucuns ne parlent-ils pas déjà d'un projet de théâtre sur un emplacement à proximité des grands boulevards? Mais chi lo sa? l'avenir est à Dieu... et un peu également à MM. Isola.

En vérité, ils ont tenu dans les théâtres d'art lyrique une place enviable et respectée; ils ont monté une foule d'œuvres intéressantes, ils ont contribué à attirer au théâtre de l'Opéra-Comique un public de plus en plus nombreux et de plus en plus enthousiaste. Grâces leur en soient rendues.
          Les frères Isola sont d'ailleurs des administrateurs-nés; leurs débuts ne furent pas toujours faciles, et si la chance enfin les favorisa, c'est qu'ils en triomphèrent à force d'intelligente ténacité. Ne racontaient-ils pas dernièrement à notre directeur ce souvenir empreint d'une sereine philosophie : Un soir, un triste soir, qu'il faisait froid et peut-être un peu faim, ils s'assirent sur un banc du boulevard de Sébastopol, et l'un d'eux dit à l'autre, lui montrant d'un geste large le Théâtre de la Gaieté dont la façade flamboyait non loin: « Dire qu'un jour peut-être nous dirigerons cette scène ! » Il ne fut pas mauvais prophète et la prédiction se réalisa brillamment par la suite.
Le premier théâtre aux destinées duquel ils présidèrent fut celui des Capucines ; et puis la déesse Fortune s'apprivoisa : Les Folies-Bergères, Parisiana et l'Olympia subirent simultanément leur artistique et sympathique dictature. C'est à ces actifs administrateurs que nous devons l'invention de la revue à grand spectacle.
           Ils dirigèrent ensuite (avec quel éclat !) la Gaieté, théâtre lyrique municipal : là se succédèrent les plus belles créations, les plus somptueuses reprises ; et cela dura onze années, sans subvention, sans aide financière.
         Enfin, M. Barthou, Ministre de l'Instruction publique, les jugea dignes en 1913 d'accéder au poste suprême et, le 1er janvier 1914, ils prenaient avec M. Gheusi place au fauteuil directorial de l'Opéra-Comique; en 1918, M. Albert Carré succéda à M. Gheusi et gouverna avec MM. Isola le théâtre de la rue Favart; le nombre des représentations est passé de trois cent cinquante à quatre cent cinquante. Celui des abonnés augmente, les recettes montent progressivement de 1 million 351.012 francs (1916) à 7.770.714 francs (1923). Les actes nouveaux montés annuellement passent peu à peu de douze à vingt. Voilà de belle et bonne besogne. Et l'on voudrait qu'après cela MM. Isola se reposent et se laissent envahir par un doux far-niente? Ce serait à vrai dire assez mal les connaître, et il ne se passera sans doute pas un temps bien long avant qu'on ne parle à nouveau et pour de vastes projets de ces deux frères infatigables, qu'a toujours unis la plus tendre et touchante affection.
C'est d'ailleurs le vœu que forment leurs amis, et ils sont légion.
                                                                                 R. CHANOINE-DAVRANCHES.