Les
nouveaux directeurs de journal 'Propos de Paris" du mardi 19 octobre 1913 |
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---- Nous avons enfin connu cette semaine les nouveaux directeurs de nos théâtres subventionnés, la Comédie-Française et l’Opéra-Comique. Nous serons bientôt fixés, j’imagine, sur le sort de l’Opéra. Mais en attendant les choix du ministre de l’Instruction publique ont rencontré l’approbation du public parisien. Ce public connaît, à des degrés divers, les personnalités élues. Celles qui lui sont les plus familières, grâce à la revue et à l’image, c’est le couple presque siamois des frères Isola. A ce moment glorieux de leur carrière, je me plais à évoquer leurs débuts tels qu’ils me les ont eux-mêmes contés jadis avec bonhomie. Leur « trajectoire » leur fait le plus grand honneur. C’étaient de tout petits menuisiers de Blida. |
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Ils vinrent à Paris avec deux varlopes qui
se ressemblaient comme des soeurs. Le père Isola, tailleur de son
état, tenait un café fréquenté par les prestidigitateurs
de passage en Algérie. Bosco, entre autres, s'y arrêta souvent.
Dès leur plus tendre enfance, les Isola essayaient des tours; ils
y réussissaient et, à l'âge de onze ans, à
une distribution de prix, ils donnèrent leur première séance.
Sans contrarier le penchant de ses fils, le tailleur-cafetier estima qu'un
bon métier manuel les mettrait à l'abri des surprises et
des risques de la prestidigitation. Il en fit des menuisiers. |
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A Paris, ces hommes qui devaient un jour brûler
tant de planches commencèrent par en raboter. Ils ne rabotèrent
pas longtemps. Un beau soir, ils se trouvèrent sans travail et
sans le sou. Ils durent passer la nuit nuit à la belle étoile
et se contenter de se coucher dans un square, sur un banc qui n'était
même pas numéroté. C'était dans le square des
Arts-et-Métiers, vis-à-vis de la Gaité. J'éprouve
ici la tenta¬tion de vous raconter le songe qu'ils eurent, un songe
de conte de fées : le théâtre resplendissant de lumières,
retentissant de célestes harmonies... Vous devinez la suite. Malheureusement
ils ne rêvèrent pas cette nuit-là. Aucune fée
ne leur prédit qu'ils dirigeraient le théâtre qui
les couvrait de la courtepointe de son ombre. |
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---- Ils avaient dix-huit et vingt ans; ils ne désespèrent pas. Puisque la menuiserie ne nourrissait pas ses deux hommes, ils allaient demander à la prestidigitation de se montrer un peu plus alimentaire. Les voilà, certain matin, chez le sénateur Mauguin qui connaissait bien leur père. Les hommes politiques ne dédaignent pas les cafetiers. Le sénateur écoute avec bienveillance ses jeunes compatriotes, qui lui exhibent une affiche immense où on lisait : « Les frères Isola, les premiers prestidigitateurs du monde. Quarante ans d'expérience. Les seuls qui aient eu l'honneur de se présenter devant l'empereur de Russie. » Ces paroles se passaient de commentaires. Néanmoins, l'un des frères crut utile d'ajouter : «Vous voyez, nous commençons à être connus. Voilà comme on parle de nous sur les affiches. » Il eut été plus juste de dire : « Voilà comme nous parlons de nous. » M. Mauguin sourit et promit sa protection. | ||||||
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Les premières rencontres des frères
Isola avec le public parisien ne furent pas triomphales. Ils parurent
d'abord dans une représentation à bénéfice
donnée par Mme Seriwanek, qui avait fini par accepeter leur concours.
Ils arrivèrent au théâtre, ou plus exactement à
la salle Lancry avec une heure de retard. Le public s'impatientait. Il
ignorait que « les premiers prestidigitateurs du monde » avaient
battu Paris eu tous sens à cet heure avancée — Il
était dix heures pour se faire friser et acheter deux beaux chapeaux
haute forme — les premiers eux aussi. Le plus jeune des frères
s'avance, il se trouble. Habitué à travailler sans accessoires
perfectionnés, perd la tète, tous ses trucs laissent passer
le bout de l'oreille. |
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---- Les
spectateurs se tordent. Le régisseur, affolé fait donner l'aîné.
Celui-ci montre son asiatique petite personne et débute ainsi : «
Messieurs, vous êtes victimes d'une illusion. » Or, on aperçoit
derrière un voile de soie, qu'il tient et tend de ses deux mains,
des plumes multicolores qui sortent des manches de son habit. Dans 1a salle,
c'est du délire. On crie, on hurle. Le gaz s'éteint. Les deux
frères, en pleine obscurité, empilent dans une malle tous
leurs objets et se sauvent en courant. Dehors, ils se regardent avec stupeur
: « Où sont nos beaux tubes ? » La malle leur en tombe
des mains. Ils reviennent à la salle Lancry, cherchent, fouillent,
et découvrent enfin dans la malle, aplatis, fripés, lamentables,
les chapeaux ci-devant magnifiques. ---- La malchance les poursuit. A une séance suivante, ils représentaient Guillaume Tell tirant sur la tète de son fils. Une main invisible et sure devait conduire la flèche sur la pomme. La flèche part, mais, ô miracle ! elle reste suspendue dans les airs et se balance pleine d’indolence. Pour un « emboîtage », ce fut un emboîtage. Même succès un soir à la Scala, ou Mme Roisin, alors directrice de cet établissement, avait engagé les Isola. Lainé était dissimulé dans un automate qui dessinait au fusain. Quand il vint saluer le public, il avait la tête barbouillée de noir et tenait un pigeon dans sa main. «La tète ! La tête!» clame-t-on de tous côtés. Croyant qu'on parlait du pigeon, notre artiste montre la tête de l'animal et dit : « Vous voyez, la tête. Elle est blanche. - Non elle est noire. — Blanche! — Noire !". Il fallut pour mettre fin à cette scène bouffonne que l’un des frères avertit l'autre à voix basse de l'accident comique. Ils se démontaient de moins en moins et ne s'étonnaient pas qu’on leur fît de la musique. Aussi lorsque à leur début à Londres , on les accueillit par des bordées de sifflets stridents, ils allèrent trouver leu directeur leur à l'issue de la représentation, prés à tout, c'est-à dire à reprendre le train et le bateau. Etes-vous libres ? leur demande ce directeur.— Oui.— Eh bien, je vous engage pour six mois. C'est que, à Londres les sifflets, sont des applaudissements. ---- Les mauvais jours ne durèrent pas. Les Isola grâce à leur apprentissage du succès ont vu les dangers de la suffisance satisfaite et pris l'habitude de contenter le goût du public. Vous connaissez leurs entreprises. En 1892. ils s'installent dans une salle qui servait de local pour cours et conférences, aux Capucines. Ils la louent à M.d'Erlicourt et y obtiennent d'abord des recettes de cinquante francs par soirée. Ils joignent à leur prestidigitation le magnétisme et le spiritisme, fort à la mode à ce moment. L'ambition leur vient arec la réussite : en 1897, ils achètent Parisiana; en 1898. l'Olympia, puis c'est le tour des Folies-Bergère. Enfin, hier encore ils tentaient une plus haute aventure : larésurrection de la Gaîté. sous les espèces d’un théâtre lyrique. Les voila aujourd'hui à l'Opéra-Comique, dans un quatuor sympathique. Je leur souhaite d`y réussir. Joseph Galtier. |