Source Gallica:
03/01/1903

 

   

Du journal "La vie Parisienne" du samedi 3 janvier 1903

                  ~ A   LA  GAITÉ ~

        Les frères Isola ont été illusionnistes, et ils veulent qu'on s'en souvienne. Ils achètent un théâtre d'opérette... Pan! Ils annoncent sa transformation en théâtre de féerie...      Le Châtelet tremble! Sans motif, car aussitôt les Isola annoncent qu'ils ne joueront que des revues... Encore des revues ! s'écrie-t-on... Pas du tout ; la salle municipale abritera le drame lyrique : on y lancera des jeunes... La pièce d'ouverture sera La Juive, d'un débutant qui s'appelle Halévy.

         Ensuite, Hérodiade,inconnu de talent du nom de Massenet ; puis, au son de la musique de M. Lambert, La Flamenca viendra danser un tango.
       On ne s'éternisera pas là-dessus, d'ailleurs. Allons, passez muscade. Voici un changement à vue et l'apparition du drame historique, avec panache et coups d'épée, sous la direction de M. Hertz, le bon ami de Jean Coquelin. Laissez-moi vous le dire à l'oreille : cette direction se trouvera inaugurée par une pièce nouvelle dont on dit le plus grand bien. C'est Cyrano de Bergerac, avec Coquelin comme principal interprète.
        Mais, les Isola aidant, on n'y aura vu que du feu... Allons, passez, muscade!


                                Suite du journal "La vie Parisienne" du samedi 3 janvier 1903

MARDI.

                      Un des membres de leur famille étant mort, MM. Isola viennent de fermer, pour un soir, deux des établissements de plaisir les plus fréquentés de Paris; tous les journaux l'annoncent. Sur le boulevard, ce doit être un événement !
     MM. Isola, ne sont encore directeurs que de l'Olympia, des Folies-Bergère et du théâtre de la Gaîté, mais ils ont de plus grandes ambitions, ils veulent avoir l'Opéra. Cela nous promet d'autres relâches.
      Hérodiade, à la Gaîté, Mme Calvé, Renaud, engagés à des conditions « américaines », la mise en scène, qui sera, dit-on, faramineuse, ne sont là que pour faire songer à MM. Isola, au cas où M. Gailhard viendrait à manquer. La saison de la Gaîté coûtera très cher aux directeurs des Folies-Bergère. Peu leur importe ! Ils veulent l'Opéra.
        Qui aurait dit que les prestidigitateurs de la petite salle du boulevard des Capucines deviendraient de si gros personnages? Des Capucines à l'Opéra, il y avait plus loin qu'il ne semble, malgré que du plus petit au plus grand théâtre de Paris, il n'y ait pas quatre cents mètres. L'Olympia était en face, ils y sont entrés   d'abord. Avant  de     mettre en   scène   un ballet     de M. Duvernoy ou un opéra de Saint-Saëns, ils se sont essayés avec ballets de Ganne et revues à grand spectacle des fameux Blondeau et Monréal ou des non moins fameux Cottens, Gavault et Cie.
       Dans son dernier album, Sem a dessiné MM. Isola entre le marquis de Modène, le prince Troubetzkoy (sculpteur), M. Jacques Lebaudy et M. Bocher — qui est doyen des abonnés de l'Opéra, comme on est président à la cour ou sénateur. Sem ne l'a fait, sans aucun doute que pour montrer à quel point les célèbres frères font corps avec ce grand Paris de cinq cents personnes — toujours les mêmes pendant une période de dix ans! — qui mènent grand bruit, risquent les coups dont on aime à s'émerveiller, domptent la chance, bravent la guigne et ne sauraient manquer une réunion de courses ou certaines premières, sans que cette réunion, cette première manque d'un point, d'une petite tache, qui la fait moins parisienne.
      Offrant sur une de leur scène Hérodiade avec la divine Calvé ; sur une autre, le Looping ou la Flèche humaine et, sur une troisième, Mlle Otero, ou des lutteurs turcs, les frères Isola— dont les cheveux noirs, le teint bis, faisaient penser les premiers temps à quelques riches planteurs du Colorado en partie de plaisir à Paris, — les frères Isola sont des personnages très « sensationnels ».
      A quelque jeune Persan qui voudrait s'instruire de Paris, il lui faudrait expliquer les frères Isola, comme on voudrait lui faire approcher Mme Greffühle, le faire assister à une soirée de Mme Madeleine Lemaire, lui montrer Rochefort, le conduire applaudir Sarah, Réjane et Coquelin, et le promener à Bagatelle, un jour où Santos- Dumont opère.
         Les États-Unis ont leurs rois du pétrole, du porc, de l'or, de l'acier; nous avons l'Empereur du Sahara, mais nous avons aussi les rois du portant, les trusters du théâtre : les frères Isola. C'est un signe des temps!