L'association  l'Alma- le Corso - L'Alma-Marine regroupe un grand nombre personnes ayant vécu ensemble il y a plus de 54 ans sur la rive opposée de la Méditerrannée: celle des frères Isola où ils ont nés. Pour cette Algérie et le village de l'Alma dont on ne peut juste que rêver, j'ai voulu faire revivre dans le bulletin annuel de l'association un moment leur présence parmi nous par le texte intégral qui suit.

                                                                                  Claude Loubet, un des arrière-petits neveux des frères Isola


 

AVANT-PROPOS DE L'AUTEUR

                Qui connaît des personnes capables de passer par la direction de huit théâtres et salles de spectacles parisiens, et même à un moment, d'être simultanément à la tête de trois d'entre eux ?
          Et, si ces théâtres aux noms prestigieux se nomment : LES CAPUCINES, PARISIANA, LES FOLIES BERGÈRE, L'OLYMPIA, LA GAÎTÉ LYRIQUE, L'OPÉRA COMIQUE, SARAH BERNHARDT et MOGADOR, on en reste bouche bée et on ne peut imaginer que ces personnes soient issues de "Notre Algérie". Et c'est pourtant le cas ! Mais quelle est leur relation avec l'ALMA ? Bien qu'elle soit lointaine, elle est bien réelle !
           En effet, nés à BLIDA, ce sont les grands-oncles de Paul LOUBET, viticulteur à l'ALMA. Tous les Alméens connaissaient sa famille établie à l'ALMA depuis 1945, son épouse Mireille, ses quatre garçons : Pierre, Jean-Louis, Claude et Hubert, ainsi que ses beaux-parents Marius et Marie BREST.
           Au risque de froisser la légendaire modestie de mon père Paul, où qu'il se trouve à présent, je pense qu'il me pardonnera sûrement d'avoir commis ce texte à propos de ses grands-oncles Émile et Vincent ISOLA, ne faisant que répondre à l'amicale et pressante éniéme demande de notre président de l'association L'ALMA - L'ALMA-MARINE - LE CORSO.
           L'histoire entre l'Algérie et la France, ou ce qu'il en reste, a toujours été dure et difficile au départ, puis agréable et productive, et enfin, catastrophique dans bons nombres de cas, comme l'évolution des espèces vivantes.
C'est ce qui est arrivé à nos deux jeunes compatriotes, partis en douce, la fleur au fusil. Les débuts sont difficiles et décourageants, puis c'est l'éclatante réussite à force d'acharnement, et en bout de course, comme dans un mauvais film, la chute, la misère, la déchéance, l'oubli et l'ingratitude de tous ceux qu'ils avaient aidés et encouragés. Et enfin, la mort et le cortège funèbre de quelques artistes et personnes moins ingrates, qui se souvenaient de ce qu’ils leur devaient...
Que dire d'une vie qui, partie du bas de l'échelle, voit une ascension lente jusqu'au sommet, puis une chute brutale, non prévisible, et quelques soubresauts pour se raccrocher ?

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            L'histoire commence place d'Armes à BLIDA, dans la famille d'un tailleur, né à TORRE DEL GRECO, près de NAPLES : Antoine ISOLA, marié à Joséphine BELVISO, originaire de l'île de PANTELLARIA. Ils ont sept enfants, trois filles et quatre garçons. L'aînée Maria décédera à quatorze ans, la deuxième fille, Vincente, mon arrière-grand-mère est l'épouse de Pierre LOUBET. La troisième, Louise Marie, mariée à un militaire de métropole, partira pour les Ardennes. Leur quatrième enfant, Jean-Baptiste, engagé dans les Spahis, a été massacré par les touaregs avec ses compagnons de la Mission FLATTERS, en janvier 1881. Le colonel FLATTERS fut lui-même décapité et brûlé.


          Les cinquième et sixième sont Émile et Vincent. Le dernier, Salvador, décède à 30 ans en 1896.
En 1873, Antoine se retrouve veuf à 47 ans, avec la charge de deux filles et quatre garçons, dont Émile, 13 ans et Vincent, 11 ans. Pour que ces deux garçons se débrouillent rapidement et sûrement, il leur fait suivre un apprentissage de mécanicien pour l'un et de menuisier pour l'autre. Ces formations leur sont utiles pour bricoler, et monter des tours de passe-passe nécessaires à la prestidigitation. Enfants, ils avaient vu dans le café paternel, des physiciens qui exécutaient des tours; ils avaient alors pris goût à ces exercices ingénieux, tours de magie, escamotages. Ils s'étaient perfectionnés en demandant leurs secrets à l'un ou à l'autre de ces magiciens de rencontre. Ils suivaient avec beaucoup d'intérêt les prestidigitateurs itinérants comme BOSCO.
           La vingtaine d'années sonnant pour l’aîné, ils partent pour "la France", comme on disait alors, afin de tenter leur chance dans le spectacle.


Après une étape à MARSEILLE, où ils exercent à la fois les métiers de menuisiers et de prestidigitateurs, ils font un séjour chez leur soeur aînée Louise, à VOUZIERS dans les Ardennes. En mai 1880, les frères ISOLA arrivent à PARIS, où ils sont embauchès par M. MOREL, entrepreneur en menuiserie, rue Charles V, pour travailler sur le chantier de construction du Crédit Lyonnais, boulevard des italiens. À PARIS, ces hommes, qui devaient un jour brûler tant de planches, commencèrent ... par en raboter !
   Ils ne rabotèrent pas longtemps. Dès 1881, Émile et Vincent louent la Salle LANCRY pour y représenter leurs tours.
C'est un tel ratage, que les deux frères apposent, dans les couloirs menant à la Salle, un panneau ainsi rédigé : "Messieurs ISOLA font savoir que les sifflets sont considérés comme des applau¬dissements".
Un beau soir, sans travail et sans le sou, ils sont contraints de passer la nuit à la belle étoile, et de coucher dans un square, sur un banc. C'était le square des Arts et Métiers, faisant vis à vis à la GAÎTÉ LYRIQUE. Sous la voûte des étoiles, ils rêvent de ce théâtre, et font un songe de conte de fées : " le théâtre resplendissant de lumières, retentissant de célestes harmonies". Fort heureusement, ils ne rêvérent pas complètement cette nuit-là. En effet, ce théâtre, qui les couvrait de la courtepointe de son ombre, ils en seraient bien les directeurs, vingt ans plus tard.
           En 1886, les frères ISOLA sont engagés pour quelques années aux FOLIES BERGÈRE, tournées en province : BORDEAUX, TOULOUSE, MARSEILLE, GRANDCAMP (Calvados), DINARD, JERSEY,… etc. Émile et Vincent retournent en Algérie, où ils présentent à BLIDA leurs numéros de prestidigitation, puis nouvel engagement aux FOLIES BERGÈRE, à leur retour à PARIS.

      A partir de 1892, ils prennent la Direction de la SALLE DES CAPUCINES qui va être rebaptisée THÉÂTRE ISOLA.
En 1896, les frères ISOLA font breveter un appareil de leur invention : l'Isolatographe, appareil racheté par le cinéaste et illusionniste Georges MÉLIÈS.
On voit partout leur double silhouette : Vincent fier, cambré, le haut de forme luisant, la lorgnette à l'oeil; Émile courbé, réfléchi, méditatif; le premier semble le bras, le second, la pensée. C'est un excellent attelage. On essaierait en vain de les "désiamoiser".
Le 1er juin 1899, leur père Antoine est arrivé à PARIS pour être présent à leurs mariages respectifs, célébrés le même jour, dans le 15ème arrondissement, et pour visiter l'Exposition Universelle qui a débuté le 6 mai.
     En octobre 1903, ils se rendent en catastrophe en Algérie, afin de fermer les yeux de leur père Antoine ISOLA, à qui ils devaient beaucoup.

           En octobre 1903, ils se rendent en catastrophe en Algérie, afin de fermer les yeux de leur père Antoine ISOLA, à qui ils devaient beaucoup.
De multiples Directions de théâtres s'ensuivent, avec toute une pléiade d'artistes.
- 1897 : Achat de PARISIANA: genre revues d'artistes en tous genres.
- 1898 : L'OLYMPIA en plus : artistes de cirque (dresseurs, contorsionnistes et jongleurs,...).
- 1902 : Ajout des FOLIES BERGÈRE : nombreuses revues bien plus légères et court-vêtues.
- 1903 à 1913 : Direction fructueuse et reconnue (Ils sont faits Chevaliers de la Légion d'Honneur) de la GAÎTÉ LYRIQUE, avec représentations d'oeuvres telles que "Le Barbier de Séville", "Les cloches de Cornevilles", "Don Quichotte" ...
- 1913 à 1925 : Ils sont nommés par le ministre, Directeurs avec Albert CARRÉ de l'OPÉRA COMIQUE, opéras classiques récompensés, en 1922 et 1924, par une promotion au titre d'Officiers de la Légion d'Honneur.
- De 1926 à 1936 : Ils dirigent en parallèle deux théâtres : MOGADOR et SARAH BERNHARDT, qui acquièrent grâce à eux et à leur action, de très bonnes réputations. C'est dans ces deux théâtres que furent crées nombre d'opérettes qui allaient devenir célébres : Rose-Marie, Nono Nanette ("tea for two"), l'Auberge du Cheval Blanc, et beaucoup d'autres...
          Au cours de leurs différents postes de Direction, ils engagent ou côtoient de nombreux artistes très connus, tels que : ARLETTY, CHARPIN, Max DEARLY, Victor FRANCEN, Jeanne FUSIER-GIR, Sacha GUITRY, Yvonne PRINTEMPS, l'écrivain COLETTE, alors danseuse nue aux FOLIES BERGÈRE, des compositeurs comme Jules MASSENET, très attaché à la GAÎTÉ LYRIQUE, et tant d'autres célébrités des Arts et du Spectacle.

               La crise de 1936 et le second théâtre SARAH BERNHARDT, plus coûteux à entretenir que MOGADOR et plus difficile à gérer par la faute des contraintes imposées par la ville de PARIS, entraînent la faillite des deux salles, mais également du THÉÂTRE ISOLA.

        À partir de cette date de 1936, et jusqu'en 1943, ils sont obligés, à 74 et 76 ans, de reprendre leur premier métier de prestidigitateurs, dans de nombreuses salles parisiennes : l'ABC, l'ÉTOILE, le THÉÂTRE PIGALLE, le CIRQUE MÉDRANO, et de prolonger tout cela, par de nombreuses tournées en province.
       En 1943, Pierre ANDRIEU publie un livre chez Flammarion, intitulé : SOUVENIRS DES FRÈRES ISOLA. CINQUANTE ANS DE VIE PARISIENNE, après avoir écouté le récit de leur vie, leurs souvenirs personnels et professionnels, avec de nombreuses anecdotes à partir de leur métier de Directeurs de tant d'établissements artistiques et lyriques.(note)

"Deux" était leur chiffre, des jumeaux ou presque : deux ans d'écart entre leurs naissances, mais également entre leurs morts, respectivement à 85 ans l'un et l'autre, deux épouses chacun, cependant Vincent, à 73 ans, casse ce nombre par un troisième mariage en 1935 !
L'histoire s'achève en 1945 pour Émile, et en 1947 pour Vincent. Ils reposent ensemble au cimetière des Batignolles à PARIS.


                                                             POSTFACE

           Je suis maintenant apaisé et heureux d'avoir pu les faire revivre par ce texte, et ils me sont devenus de plus en plus proches grâce à mon site : http://claude.loubet.free.fr/ intitulé : " les brillants frères Isola", que je complète assidûment depuis plus de 10 ans !

           1. On peut lire les six premiers chapitres de ce livre sur un site canadien fort bien fait, à l'adresse :
http://www.www.dutempsdescerisesauxfeuillesmortes.net/fiches_bio/isola_freres/isola_freres.htm