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Mercredi soir, après "Les Indes galantes",
le rideau est tombé sur la dernière représentation
donnée sous la direction de MM. Albert Carré,
Vincent et Émile Isola.
Ce fut une grande et heureuse direction qui aura su maintenir la tradition
de l'Opéra-Comique au milieu de circonstances difficiles.
Elle aura dû fourni un effort particulièrement rude et dont
peut-être on ne s'est pas assez rendu compte; au cours de cette
période, le renchérissement de tout obligeait artistes,
musiciens, décorateurs, costumiers, personnel, à réclamer
des appointements ou des prix de plus en plus élevés, tandis
que la subvention comme pour l'Opéra d'ailleurs n'augmentait
pas, que le cahier des charges restait identique, que l'État multipliait
les taxes et que la majorité du public, elle-même obligée
à des dépenses de plus en plus lourdes pour les objets de
première nécessité, devait considérer de plus
en plus le théâtre comme un superflu; elle ne pouvait donc
admettre, que le prix des places augmentât dans la, proportion qu'exigeaient,
pour subsister, les artisans die la scène. Logiquement, tout ayant
quintuplé depuis 1914, le prix d'un fauteuil devrait être
de 50 francs à l'Opéra-comique et de 80 francs
à l'Opéra, mais alors, la plupart des spectateurs
devraient renoncer à l'un de leurs plaisirs les plus élevés.
Les directeurs n'ont pu que doubler les recettes tandis qu’ils devaient
quintupler les frais. C'est dans ces conditions que MM. Carré
et Isola ont su faire vivre et prospérer l'Opéra-comique,
lui garder le même mouvement artistique, la même vie qu'auparavant.
Soyons juste : ces difficultés n'ont pas diminué, au contraire,
pour MM. Masson et Ricou et la tâche
qu'ils assument mérite donc la même sympathie. MM. Carré
et Isola en montrant qu'elle n'était pas insurmontable
ont seulement donné un grand exemple que leurs successeurs ont
à cœur de suivre et, si possible, de parfaire.,
Ceux qui partent ont trouvé des censeurs. Qui n'en trouve pas?..
Certains étaient de bonne foi, mais ne se rendaient pas assez compte
des multiples obstacles qu'ils devaient surmonter. Les autres !. Aucune
importance ! MM. Carré et Isola
ont rempli leur mandat jusqu’au bout, loyalement ils peuvent en
conserver une juste fierté
La dernière
représentation en est une preuve frappante. Si nous examinons,
comme nous l'avons entrepris pour les œuvres précédentes,
ce que M. Carré, seul, puis avec le concours de
MM. Isola, a fait pour Le Roi d'Ys, nous voyons
que cette belle œuvre française créée d'abord
avec un éclatant succès sur la scène du Théâtre
Sarah-Bernhardt actuel fut longtemps écartée de
la salle Favart; elle faisait partie des ouvrage lyriques sur lesquels
Carvalho avait émis une voix exclusive parce qu'ils
n'avaient point été découverts par ses soins. M.
Albert Carré la remit en scène en 1902
et l'entoura d'un soin particulier. La distribution comprenait Mme Delna
dans le rôle de Margared, repris ensuite par Mlle Coulon
; Mlle Guiraudon ou Mlle Cesbron dans
celui de Rozenn. M. Léon Beyle
chantait Mylio et M. Delvoye Karnac.
Les rôles du roi d’Ys et de Saint Corentin
étaient MM. Vieuille, Huberdeau ou
Imbert, M. Luigini conduisait l'orchestre.
Cependant, l'œuvre eut quelque rial à atteindre le grand public.
Lorsque MM. Carré et Isola prirent
ensemble la direction de l’Opéra-comique, l’œuvre
ne réalisait que de médiocres recettes. Mercredi soir, la
salle était comble et l'on avait refusé à peu près
autant de personnes qu'elle en pouvait contenir. Est-il meilleure preuve
du résultat atteint et de la .diffusion artistique poursuivie par
eux?
M. Frigara fut acclamé
après l'ouverture qu'il enleva dans un mouvement remarquable par
ses nuances multiples et par sa force finale. Les protagonistes étaient
Mme Marthe Chenal, tragédienne lyrique aux attitudes
harmonieuses, à l'action dramatique constante ; Mlle Myrtae
qui a bien chanté la jolie phrase du deuxième acte «
En nous il est venu comme viennent les fleurs.... »
; MM. Lapelletrie, à qui la rare qualité
de ses demi-teintes fit bisser le madrigal du quatrième tableau:
Albers, comédien habile et chanteur accompli ;
Guénot, dont le beau timbre vocal s'épanouit
avec largeur dans Saint Corentin, Dupré et Goavec,
artistes sûrs et consciencieux.
Une entrée des "Indes Galantes" de Rameau,
montée cette saison même avec un luxe délicat de décors
et de costumes complétait ce dernier spectacle.
Pierre
Maudru.
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