Nous
apprenons que les frères Isola, que des ignorants
ont injustement confondus avec les Siamois, car ils sont, non pas jumeaux,
mais simplement jumelés, prennent la direction d'un théâtre
de luxe, portant le nom d'un grand statuaire, mais que nous ne désigneront
que par sa situation topographique proche la rue Pigalle.
Ce
théâtre n'a jamais eu de chance. Les frères Isola
non plus.
Cependant,
l'un et les autres avaient tout ce qu'il faut pour réussir dans
la vie parisienne : l'un la salle la plus ruisselante la machinerie
la plus savante la scène la plus pivotante, quoique le public
le plus rare, la collection de fours la plus caractérisée,
les faillites les plus confortables, les autres l'abord le plus sympathique,
les trocs les plus inédits, les guéridons les plus tournoyants,
mais jamais d'argent à partir du 25, malgré des tours
de passe-passe et les escamotages les moins intelligibles pour le spectateur,
mais aussi, les moins fertiles pour l'opérant.
Quand on songe, d'un côté aux difficultés
de l'élevage des éléphants et de l'autre que l'extraction
de plusieurs individus de cette espèce d'un simple dé
à coudre n'enrichit pas son auteur, il y a de quoi faire douter
de la gratitude de l'humanité !
Ainsi donc, d'une
part, un propriétaire milliardaire qui s'était acheté
jusqu'au nom de Pascal et qui ne parvenait pas à se ruiner, de
l'autre deux personnages d'un fort appréciable talent, mais qui
n'arrivaient jamais à joindre les deux bouts, même en tirant
tant qu'ils pouvaient. Ce qu'Alfred
Capus qui ne se foulait pas n'eût pas manqué d'appeler
la déveine.
Eh bien ! parions un dixième
contre le gros lot de la Loterie, qui est en puissance, au moment où
nous écrivons, dans quelqu'un de ces billets, aussi ignoré
qu'un saint peut l'être dans sa famille, parions que cette conjonction
tardive d'aujourd'hui va être heureuse, car elle guigne, pour
constituer une réussite, qui fait nécessairement penser
à d'autres frères, les frères tarots...
Le seul regret que
l'on puisse avoir est qu'elle ne se soit pas produite spontanément
et plus tôt. Mais le milliardaire eût-il jamais pensé
à mettre son beau théâtre vide à la merci
d'artistes capables de le remplir et doués de tout, sauf d'argent
liquide, et ceux-ci, isolationnistes par définition, eussent-ils
consenti à une sollicitation vraisemblablement vouée à
l'insuccès ?
Ils préférèrent
demander à l'Opéra-Comique, ce qui était
plus facile. puisqu'il n'appartenait qu'à l'État, et ils
l'obtinrent. n'ayant alors, à en croire ce qu'on nous a dit,
que quinze francs en poche, et ils y réussirent, parce que la
musique n'était pas leur spécialité Il faut se
défier des spécialités et l'universalité
des facultés de l'homme contemporain est, sans doute, la cause
de son succès indéfini dans presque tous les domaines....
Les frères Isola
vont donc débuter par une opérette, ce qui prouve qu'ils
n'ont pas de parti-pris, et ce qui serait tout à fait heureux
si cela décidait l'Opéra de nous donner bientôt
des tours de prestidigitation, plus corsés encore que dans "Faust".
voir page sur "Rien qu' un baiser au théâtre Pigalle
Comme disait
Sièyès après la Terreur, le tout est d'avoir su
vivre, au moment ou la chose était difficile. Ayant su vivre
jusqu'ici et ne doutant pas de l'avenir qui leur est ouvert, l'avenir
est à ceux qui se couchent tard, — les frères Isola
sont sûrs de se rattraper
et il faut voir, dès maintenant, avec quelle espièglerie
de collégiens, ces pétulants octogénaires
racontent leurs projets à ces vieux reporters asthmatiques à
ces courriéristes blanchis sous le harnois, qui n'en croient
pas leurs microphones contre la surdité.
Cela nous enseigne que
l'homme ne doit jamais douter de rien, et surtout, pas de sa jeunesse
éternelle. Ce n'est pas sans raison que l'Olympe ne fut pas peuplé
de vieux types ses inventeurs qui s'y connaissaient, et que les dieux
se sont toujours débrouillés pour vivre à la fleur
de leur âge, comme pour ne pas se voir vieillir. Et
la peinture, qui a tenu à nous conserver leurs traits, à
travers les orages des temps vous montrera leur alacrité et la
ravissante fraîcheur de leur teint.
Henri
DAVOUST